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sommaire

DÉFORESTATION

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Écrit par

  • Emmanuelle GRUNDMANN : docteur en primatologie et conservation des grands singes, journaliste scientifique

La déforestation est devenue l'un des fléaux du xxie siècle. Sensibiliser chacun sur le rôle et la richesse des forêts est essentiel pour préserver ces milieux menacés qui ont fourni ou fournissent encore à l'homme refuge, nourriture, combustibles, matières premières... Si l'utilisation de leurs ressources a évolué au cours du temps, les forêts restent essentielles à la survie de notre espèce et à l'avenir de notre planète. S'il y a lieu aujourd'hui de s'inquiéter, c'est parce que, d'une exploitation raisonnée et raisonnable des forêts, on est passé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à un véritable pillage des sylves et tout particulièrement de celles qui se trouvent sur la ceinture tropicale. Ces dernières représentent des écosystèmes en « mille-feuilles » (strates) qui sont, avec les récifs coralliens, parmi les plus riches en biodiversité.

État des lieux

Aujourd'hui, les forêts couvrent environ un quart, voire un tiers de la surface des terres émergées (selon qu'on comptabilise ou non comme forêts les plantations d'arbres), soit environ 4 milliards d'hectares selon la Food and Agriculture Organization (F.A.O.) qui y inclut les monocultures d'arbres. Seulement 36 p. 100 de ces surfaces sont constituées par des forêts primaires, c'est-à-dire des forêts à haut degré de naturalité, n'ayant jamais été exploitées ou fragmentées par les hommes. Ces chiffres évoluent sans cesse puisque, chaque année, 13 millions d'hectares (soit quatre fois la superficie de la Belgique) sont rasés, brûlés ou convertis à d'autres utilisations. Si les régénérations naturelles, relativement faibles, et les programmes de replantations de forêts naturelles et de monocultures agro-industrielles viennent compenser une partie de ce recul du couvert forestier, les pertes nettes de surfaces boisées sont évaluées, selon les définitions et les modes de calcul, entre 5 et 8 millions d'hectares par an.

Face à ces chiffres globaux, il faut noter une grande hétérogénéité de la déforestation, les forêts tropicales étant les plus touchées. Lorsque la Russie perd 100 000 hectares de forêts boréales par an, le Brésil voit disparaître, dans le même temps, 3,1 millions d'hectares de forêts tropicales. Ce dernier pays a perdu 10 p. 100 de son couvert forestier depuis 1990. Quant à l'Indonésie, sur cette même période, la surface de ses forêts a diminué d'un tiers, soit une perte de 32 millions d'hectares. Depuis les années 1960 et l'instauration de la nouvelle loi forestière sous le régime du président Suharto, la surface forestière de ce pays est passée de 162 millions d'hectares à moins de 90 millions. Par ailleurs, les forêts qui subsistent en Indonésie sont, pour la moitié d'entre elles, morcelées par des routes et menacées par l'expansion des plantations. Les forêts tropicales de plaines, les plus riches en biodiversité, ont pratiquement disparu de l'île de Sulawesi, et les surfaces forestières se réduisent rapidement à Sumatra et dans la province de Kalimantan. Le bassin du Congo, autre grand massif forestier situé sous les latitudes tropicales, a perdu 6 p. 100 de son couvert forestier depuis 1990, soit 14 millions d'hectares.

Forêt de Bialowieza, Pologne - crédits :  (A. Bolbot/ Shutterstock

Forêt de Bialowieza, Pologne

Néanmoins, si dans cet état des lieux les forêts tempérées sont les seules à ne pas voir leur surface se réduire (sauf quelques cas particuliers, la Tasmanie par exemple), il ne faut pas oublier que dans certains pays comme la France la quasi-totalité des forêts sont gérées de manière privée ou publique, et qu'une partie fort importante est constituée par des plantations ne comprenant qu'une seule espèce (forêts de pins Douglas, de peupliers, d'eucalyptus, de robiniers, de chênes...). Ces plantations ne présentent donc pas la richesse d'un écosystème en mille-feuilles, où de multiples essences de tous les âges se côtoient avec de vrais sous-bois colonisés de ronces, de fougères, d'arbustes et diverses autres plantes herbacées. Les forêts françaises, qui ressemblent parfois plus à des champs d'arbres, sont – à de rares exceptions – exploitées depuis le Moyen Âge et ne sauraient être mises sur le même plan que des sylves sauvages telles que la forêt de Białowiẹza en Pologne ou la forêt de Hoh dans l'État de Washington. Car une forêt n'est pas uniquement constituée d'arbres. C'est en fait un écosystème complexe et d'une extrême richesse qui abrite de 60 à 80 p. 100 de la biodiversité mondiale terrestre, dont la majorité dans les forêts tropicales.

Origines de la déforestation galopante

C'est la fin de la Seconde Guerre mondiale qui marque le début d'une exploitation débridée des écosystèmes forestiers. Pour se reconstruire, l'Europe, alors en ruine, a un besoin criant de matières premières. En outre, en raison de l'effort de guerre et des recherches technologiques des militaires, les industries deviennent plus performantes, de même que l'outillage, alors que la mécanisation s'intensifie. Les échanges commerciaux, facilités par l'essor des moyens de transport, se développent et s'amplifient. Parallèlement à cette explosion technologique, la population mondiale connaît un accroissement sans précédent. Comment nourrir des êtres humains de plus en plus nombreux et subvenir à leurs besoins et à leurs désirs ? Les terres arables se raréfiant, un grand recensement des prairies, des forêts, des zones humides et autres milieux naturels pouvant être convertis en cultures est entrepris. Les zones les plus pauvres ou difficiles (en termes d'accès et de conditions climatiques), comme certaines forêts tropicales particulièrement humides et riches en parasites, sont allouées à l'exploitation forestière commerciale. Il a fallu alors accroître coûte que coûte la productivité. En ce qui concerne les forêts, ce sont les machines, apparues à cette époque, qui ont aidé à atteindre les objectifs. Cette mécanisation a véritablement marqué le début de ce que nous appelons désormais la déforestation, avec ses ravages et ses conséquences tant environnementales que sociales.

Déforestation et agro-industrie

Si l'explosion démographique est l'une des causes du recul des forêts dans le monde, faire de cette idée malthusienne l'unique responsable est à la fois simpliste et erroné. Si elle y participe, c'est surtout l'appétit d'un petit nombre – les pays du Nord – qui est à l'origine de cette situation. Mais est-ce un appétit pour le bois ? C'est certes ce qui vient à l'esprit lorsqu'on évoque cette déforestation. Toutefois, si l'exploitation du bois participe au déboisement global, le principal moteur est l' agriculture ou, plus précisément, l'agro-industrie. C'est la conversion de zones de forêts en terres agricoles pour l'élevage bovin ou le soja en Amazonie, pour le palmier à huile en Asie du Sud-Est, ou encore en fast wood (des arbres à croissance rapide, tels que les eucalyptus ou les acacias, destinés à l'industrie de la pâte à papier), qui est majoritairement responsable de cette destruction des sylves planétaires. À cela s'ajoutent l'urbanisation galopante, la construction frénétique de nouvelles routes et autoroutes, l'exploitation minière (or, pétrole...), la construction de nombreux barrages hydroélectriques, sans oublier les guerres (utilisation de défoliants au Vietnam, exploitation des ressources forestières comme le bois pour financer l'achat d'armes au Liberia et en Sierra Leone durant la guerre civile...).

Rappelons qu'il existe également des moteurs naturels de la déforestation, tels les feux de forêts ; cependant, rapportés aux causes anthropiques, ils sont marginaux et ne peuvent être tenus pour responsables du spectaculaire recul des forêts dans le monde. Quant à la désertification, qui sévit notamment en Afrique, si son mécanisme s'inscrit dans la dynamique des changements climatiques globaux, les facteurs déclencheurs sont avant tout humains, liés à une surexploitation des forêts, du bois...

Afin de mieux comprendre ce qui se cache derrière cette déforestation, on analysera deux exemples : l'industrie de la pâte à papier en Tasmanie et l'huile de palme en Indonésie.

Forêt de Tasmanie et industrie papetière

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie - crédits : D. Hyde/ Shutterstock

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie

Terre perdue au large de l'Australie, la Tasmanie abrite une forêt échappée d'un autre temps et dont les hôtes sont, entre autres essences, les vénérables cèdres de Tasmanie, des Eucalyptus regnans géants et des pins Huon. C'est l'une des dernières forêts tempérées humides du monde, caractérisée par un très fort taux d'endémisme. Cependant, la forêt de Wielangta et celle de la vallée du Styx sont en train de disparaître sous l'action d'une poignée d'hommes. Ces derniers, non contents de couper les arbres les plus vieux qu'ils transforment en copeaux puis en pulpe pour l'industrie papetière, arrosent de napalm ce qui reste de ces forêts et y mettent le feu (pour faire place aux plantations de fast wood), détruisant en même temps la faune associée à ces lieux. Ensuite, afin de préserver les jeunes pousses des animaux qui s'en nourrissent, ils dispersent du 1080, nom commercial du fluoroacétate de sodium, qui est un puissant poison neurotoxique. Cette partition sinistre est orchestrée par l'industrie de la pâte à papier, tout particulièrement par l'entreprise Gunns Limited et l'agence d'État Forestry Tasmania, responsable de la gestion des forêts de ce pays. À elles deux, entre les concessions privées et les forêts d'État, elles détiennent un quasi-monopole sur l'industrie forestière en Tasmanie. Chaque année, ce sont plus de 35 000 hectares de forêts anciennes qui sont rasés, dont 15 000 par de sévères coupes à blanc. L'objectif est double : utiliser cette matière première boisée pour alimenter les usines de pâte à papier, puis y installer des plantations d'arbres à croissance rapide pour assurer leur futur approvisionnement. Depuis 1997, plus de 140 000 hectares de forêts ont été convertis en plantations. Le produit issu de cette déforestation est surtout destiné à l'exportation vers le Japon, le plus gros acheteur de pulpe et de matières brutes. À la fin de 2006, la Cour fédérale australienne a reconnu que les pratiques de Gunns Limited et de Forestry Tasmania, principalement dans la forêt de Wielangta, violaient le Tasmania's Regional Forest Agreement de novembre 1997 et allaient à l'encontre des lois sur la protection de l'environnement et de la biodiversité australienne en portant atteinte à la survie d'espèces protégées. Selon un rapport de Tasmania Conservation Trust datant de 2005, au moins 100 000 animaux sauvages ont été tués chaque année de 2002 à 2004. À la fin de l'année 2005, l'utilisation de napalm a été interdite dans les forêts d'État, mais Gunns Limited continue de l'employer dans ses concessions privées. Pour justifier le recours au 1080, Forestry Tasmania déclare que « l'utilisation de produits chimiques dans la plantation forestière est faible, comparé à ce qui est pratiqué dans l'agriculture ». Et la direction de Forestry Tasmania d'affirmer que « l'exploitation de la forêt de Wielangta est sélective et que ce n'était en aucun cas une forêt ancienne ». En effet, comme les forêts anciennes ne peuvent pas être exploitées, une des clés du débat est justement la définition de la « forêt ancienne » ; celle que donnent les autorités est suffisamment floue pour ouvrir la porte à toutes les interprétations.

L'huile de palme et la forêt

Originaire d'Afrique de l'Ouest, le palmier à huile fut d'abord importé à la fin du xixe siècle en Malaisie comme plante ornementale, avant d'être cultivé pour son huile. En 1961, on comptait dans le monde 3,6 millions d'hectares de palmiers à huile, essentiellement localisés en Malaisie. En 2006, ces cultures, toujours en expansion, s'étendaient sur 13,4 millions d'hectares et étaient présentes dans quarante-trois pays, principalement en Indonésie et en Malaisie – pays qui fournissent à eux deux plus de 80 p. 100 de l'huile de palme mondiale –, sans oublier Madagascar, la République démocratique du Congo, le Togo, la Colombie, le Pérou ou les Philippines. Loin d'être anodines, elles représentent un dixième des terres cultivées sur la planète. Ces vastes champs aux allures de damier ocre et vert sont cultivés au détriment de la surface forestière. Selon les chercheurs et la F.A.O., de 1990 à 2005, de 55 à 59 p. 100 de l'expansion de ces cultures en Malaisie et au moins 56 p. 100 en Indonésie se sont effectués aux dépens des sylves. Or, comme l'ont montré diverses études, la conversion de zones forestières en plantations de palmiers à huile entraîne une perte cruciale de la biodiversité, avec la disparition de 50 à parfois plus de 70 p. 100 des espèces. Les plantations de palmiers à huile abritent moins de la moitié des espèces de vertébrés qui se rencontrent dans les forêts primaires, à peine un tiers des espèces d'oiseaux et moins d'un cinquième des papillons présents dans les sylves voisines. De plus, ces lieux attirent de nombreuses espèces invasives, parmi lesquelles les rats ou les fourmis. Si on compare les divers types de plantations (palmier à huile, hévéa, cacao, café, ou acacia pour la pâte à papier), la richesse spécifique la plus faible s'observe dans les plantations de palmiers à huile, tous les autres types de cultures abritant non seulement plus d'espèces, mais aussi plus d'espèces forestières. L'érosion de la biodiversité est d'autant plus critique que les espèces touchées par l'expansion du palmier à huile sont évidemment celles qui sont les plus spécialisées – dépendant d'une alimentation très spécifique ou d'un habitat particulier – ou bien encore des espèces déjà très menacées et/ou endémiques à une minuscule zone forestière. Par ailleurs, la conversion des forêts en monocultures de palmiers à huile a de nombreuses répercussions sociales, à la fois pour les populations autochtones chassées de leurs terres ancestrales, le plus souvent sans aucune compensation (n'oublions pas que, dans le monde, 350 millions de personnes vivent encore dans les forêts), et pour les populations locales. Si l'industrie qui gravite autour du palmier à huile est un réel facteur de développement économique, permettant à de multiples personnes de travailler et de vivre, de nombreuses autres sont employées dans des conditions proches de l'esclavage moderne. Par ailleurs, à l'échelle planétaire, 1,8 milliard de personnes dépendent de la forêt et de ses ressources pour vivre, voire pour survivre. Est-ce que ce développement économique, qui est loin de profiter au plus grand nombre, peut se justifier à tout prix, et notamment au détriment des forêts qui font vivre près d'un tiers de la population mondiale ? En effet, raser des forêts précipite nombre de personnes dans l'insécurité alimentaire.

Les forêts, une assurance-vie pour l'avenir

Face à ce constat, comment agir ? Car il ne fait plus aucun doute qu'il faille enrayer cette érosion dramatique des forêts et de la biodiversité qui y est associée. En effet, ces surfaces boisées sont essentielles à de multiples égards. Tout d'abord, 1,8 milliard de personnes en dépendent directement. Ensuite, nous avons tous besoin de cet écosystème, notamment pour son potentiel pharmaceutique, mais aussi pour les multiples services qu'il nous rend en termes d'épuration de l'eau ou de régulation du climat. En effet, les forêts sont, avec les océans, les « climatiseurs » de notre planète. Lorsque les premiers arbres puis les premières forêts sont apparus au cours de l'évolution, il y a environ 380 millions d'années, les températures régnant sur la planète étaient très élevées. Grâce à leur respiration et à l'évapotranspiration, les arbres ont modifié de façon conséquente l'environnement, en faisant chuter les températures, en stockant durablement le carbone puisé dans l'atmosphère (d'où l'appellation de puits de carbone donnée aux forêts) et en participant au cycle de l'eau. Aujourd'hui encore, les forêts continuent à jouer ce rôle de régulateur du climat. Et c'est lorsqu'elles disparaissent qu'on en mesure les conséquences. Ainsi, des études montrent que la déforestation est responsable de plus de 20 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre contre 14 p. 100 pour l'industrie, 3 p. 100 pour l'aviation ou encore 14 p. 100 pour les autres moyens de transports. Ces émissions issues de la déforestation sont surtout liées aux pratiques de conversion agro-industrielles et, dans une moindre mesure, à l'utilisation des machines qui fonctionnent au pétrole. En effet, dans certaines zones, des incendies sont provoqués avec des conséquences souvent désastreuses. L'Indonésie est l'un des pays qui émet le plus de gaz à effet de serre (le troisième) ; or ce n'est ni à cause de son industrie lourde, ni à cause de ses automobiles. En brûlant les forêts pour faire place, à moindre coût, aux palmiers à huile, ce pays rejette des millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère. Aussi, stopper cette déforestation débridée représenterait 12 p. 100 de l'effort global de réduction des émissions de gaz à effet de serre à réaliser d'ici à 2100.

Quelles solutions ?

Il n'existe malheureusement pas de solutions simples pour enrayer ce désastre. Les causes sont multiples et se superposent aux politiques des institutions financières internationales, telles que le F.M.I. ou la Banque mondiale, qui n'ont eu de cesse d'encourager la conversion des forêts en cultures industrielles ou encore l'implantation de routes et de barrages hydroélectriques au cœur des sylves. À cela, il faut ajouter le poids des lobbies industriels, comme celui de l'huile de palme, la situation politique instable dans de nombreux pays d'Afrique centrale ainsi qu'une corruption gangrenant certains États et freinant la mise en application des lois nationales ou internationales. Il ne fait désormais plus aucun doute que la protection des forêts naturelles et primaires constitue un enjeu mondial et prioritaire. Parmi les outils disponibles se trouvent évidemment l'appareil législatif, mais aussi la mise en place de certifications de bonne gestion forestière pour ce qui concerne les produits à base de bois, ou encore le programme R.E.D.D.+ (Reduced Emissions from Deforestation and Forest Degradation Program, ou Réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts) qui consiste à fournir des compensations financières aux pays en développement qui choisissent de ne pas exploiter leurs forêts.

Bois illégal et certification

Selon l'O.N.U., de 20 à 40 p. 100 de la production de bois provient de coupes illégales, ce qui représente de 350 à 650 millions de mètres cubes par an. Ce bois correspond à des essences rares et précieuses, protégées par les lois nationales et/ou internationales (bois de rose, ébène, ramin...), à des grumes exploitées dans les parcs nationaux et les réserves, ou encore à des arbres coupés en deçà du diamètre minimal d'exploitation qui est notifié dans le code forestier en vigueur du pays concerné. Pour lutter contre cette exploitation clandestine, des mesures ont été prises depuis quelques années, mais leur mise en application et leur suivi ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux. Au sein de l'Union européenne (U.E.), un plan d'action intitulé F.L.E.G.T. (Forest Law Enforcement, Governance and Trade, ou Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux) a été adopté en 2003. Celui-ci vise à aider les pays en développement à combattre cette exploitation illégale et les profits qui en découlent. C'est dans ce cadre qu'un règlement a été adopté en octobre 2010 au sein de l'U.E. : celui-ci interdit la vente sur le marché européen de bois dont l'abattage ne respecte pas la législation de son pays d'origine (une législation similaire existe aux États-Unis depuis 2008, lorsque le Congrès américain a approuvé des amendements au Lacey's Act de 1900 sur le commerce de la faune et la flore). Cette loi européenne, entrant en vigueur en 2013, concerne principalement le bois brut et semi-transformé, mais pour l'instant ni les meubles, ni les ouvrages de décoration, ni les instruments de musique (gourmands en bois précieux), ni certains produits papier, tels que les revues, les livres et autres supports écrits. Or ne pas appliquer ces mesures légales pour ces produits constitue une hérésie lorsqu'on connaît l'importance du déboisement anarchique de forêts primaires pour alimenter l'industrie de la pâte à papier dans certains pays comme l'Indonésie ou le Brésil.

Certification F.S.C. (Forest Stewardship Council)

Prouver la légalité du bois est un premier pas. Il faut ensuite pouvoir différencier le bois (ou les produits issus de bois) provenant ou non d'exploitations gérées de manière soutenable. C'est tout l'enjeu de la certification. Si plusieurs certifications et labels ont été mis sur le marché, un seul est suffisamment exigeant pour avoir le soutien des mouvements sociaux (syndicats, organisations non gouvernementales de défense des droits des peuples autochtones...) et des organisations environnementales : c'est le F.S.C. (Forest Stewardship Council). Son but est d'encourager de manière constructive les initiatives de gestion forestière socialement, écologiquement et économiquement responsables. Créé en 1993 à l'initiative de l'organisation non gouvernementale Friend of the Earth avec le concours de l'O.I.B.T. (Organisation internationale des bois tropicaux), le F.S.C. répond à des exigences écologiques, sociales et économiques, par le biais de dix principes et cinquante-six critères de bonne gestion forestière. Accéder à la certification F.S.C. est un long périple pour l'entreprise et nécessite plusieurs audits et contrôles. Celle-ci doit parfois attendre des années avant d'obtenir l'autorisation d'apposer le logo sur ses produits. Et qui plus est, un suivi annuel est assuré, avec le cas échéant des mesures correctives. Si les principes et les critères ne sont plus remplis, le label est retiré à l'entreprise. En outre, le F.S.C. certifie non seulement la gestion forestière, mais également la chaîne de contrôle, ou chaîne de traçabilité. Ainsi, le bois est suivi tout au long de son parcours. Par exemple, le logo ne pourra figurer au dos d'un livre que si la pâte à papier est issue d'une exploitation gérée durablement, selon les principes et les critères du F.S.C., mais également à la condition que l'emballage cartonné dans lequel l'ouvrage est expédié aux libraires provienne lui aussi de pâte à papier estampillée F.S.C. Sur le terrain, la démarche de durabilité doit respecter les conditions de sécurité pour les ouvriers et leur garantir un salaire décent. Elle se traduit également auprès des populations locales, dont les droits coutumiers et les droits d'usage ne doivent en aucun cas être violés. Enfin, le F.S.C. assure la protection des fonctions écologiques et la biodiversité de la forêt. Une tâche certes ardue, mais indispensable pour préserver ce patrimoine mondial et pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Aujourd'hui, 140 millions d'hectares de forêts boréales, tempérées et tropicales sont gérés sous la certification F.S.C.

Certification P.E.F.C. (Plan European Forest Certification, devenu Program for the Endorsement of Forest Certification Schemes)

Le P.E.F.C., label créé en 1999 sur l'initiative privée de forestiers européens, a pour objectif d'ouvrir la certification à de petites exploitations européennes, le système F.S.C. étant très coûteux et relativement mal adapté pour de petites structures. Toutefois, cette certification P.E.F.C. est décriée par de nombreuses organisations non gouvernementales, telles que les Amis de la Terre qui, en juin 2010, ont saisi la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, estimant que ce label est « de nature à tromper le consommateur ». Pourquoi une telle action ? Parce que, comparé à celui du F.S.C., le cahier des charges du P.E.F.C. est minimaliste, car aucun contrôle préalable n'est réalisé chez l'exploitant qui souhaite obtenir la certification. L'envoi du formulaire d'adhésion et la cotisation autorisent le propriétaire à apposer aussitôt le label. L'audit ne sera effectué souvent qu'a posteriori. Il s'agit d'une différence majeure avec le système F.S.C., lequel ne permet l'utilisation du logo qu'après plusieurs contrôles de l'exploitation. De plus, le P.E.F.C. a depuis quelques années élargi son champ d'action en devenant label international. Or l'agence nationale Forestry Tasmania, connue pour pratiquer des coupes rases dans les forêts primaires d'eucalyptus en Tasmanie, a été certifiée P.E.F.C., malgré l'impact dramatique de ces pratiques sur les écosystèmes. Espérons que ces dérives ne sont que des erreurs de jeunesse du système. Les labels sont en effet indispensables pour se repérer dans le dédale de pratiques forestières. Encore faut-il que ceux-ci soient entièrement fiables et indépendants.

R.E.D.D.+

Initiative transnationale mise en place en 2008 et coordonnée par l'O.N.U., le R.E.D.D.+ est un programme de réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts, qui vise à lutter contre le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre. Son mécanisme repose sur des incitations financières, des compensations versées aux pays en développement qui contribuent par leurs actions à réduire leurs émissions de CO2 par un ralentissement de la déforestation, d'où l'expression parfois utilisée de « déforestation évitée » pour parler du mécanisme R.E.D.D.+. Si le principe est fort attrayant sur le papier, dans les faits la réalité est plus complexe. Tout d'abord, sa mise en application pose de nombreux problèmes : comment s'assurer que les compensations financières vont bien contribuer à des projets de développement local et ne seront pas détournées au profit de quelques hommes politiques et fonctionnaires, la corruption gangrenant de trop nombreux pays, du Sud notamment ? De plus, comme le notent de nombreux spécialistes, ce système pourrait ouvrir la porte du chantage, voire du terrorisme vert : par exemple, un État ou un groupe pourrait exiger le versement de sommes d'argent, menaçant de raser telle ou telle forêt pour obtenir satisfaction. Par ailleurs, un rapport d'experts mondiaux publié en janvier 2011 montre que le R.E.D.D.+ reste inefficace, car, comme d'autres mesures et accords internationaux sur les forêts, il ne prend pas suffisamment en compte les besoins et les rôles des populations locales et autochtones, ainsi que la demande croissante en terres pour l'agriculture. Cette demande est liée, d'une part, à l'explosion des biocarburants qui sont obtenus à partir de végétaux cultivés sur de bonnes terres agricoles, ce qui augmente de manière criante l'insécurité alimentaire mondiale, d'autre part, aux pressions de l'agrobusiness face aux demandes accrues de l'Europe et de l'Amérique du Nord en viande et en produits pour l'alimentation du bétail notamment. En fait, le R.E.D.D.+ semble valoriser davantage le stockage du carbone que l'amélioration de l'état des forêts naturelles et la situation de leurs habitants.

Mouvement de la ceinture verte - crédits :  (C. Pataky/ Green Belt Movement

Mouvement de la ceinture verte

Si la forêt est devenue un enjeu mondial de taille, le chemin vers sa préservation effective et vers la gestion durable de l'exploitation forestière reste encore long. Pourtant, de l'avenir des forêts de la planète Terre dépend aussi le nôtre, tant nous sommes tributaires de cet écosystème non seulement pour les ressources qu'il nous fournit (alimentation, substances médicinales, bois-énergie, matériaux...), mais aussi pour les services qu'il nous rend (captage du CO2, climatiseur planétaire, cycle de l'eau...).

— Emmanuelle GRUNDMANN

Bibliographie

S. L. Barraclough & K. B. Ghimire, Agricultural Expansion and Tropical Deforestation : Poverty, International Trade and Land Use, Earthscan Publication Ltd.

E. Bermingham, C. W. Dick & C. Moritz, Tropical Rain Forests : Past, Present, and Future, Univ. of Chicago Press, 2005

« Certifying the incredible – the Australian forest standard. Barely legal and not sustainable », rapport de l'O.N.G. The Wilderness Society, 2005

F. Durand, La Jungle, la nation et le marché : chronique indonésienne, coll. Comme un accordéon, L'Atalante, 2001

E. Grunmann, Ces forêts qu'on assassine, Calmann-Levy, 2007 ; Demain seuls au monde : l'homme sans la biodiversité, ibid., 2010

F. Hallé, Plaidoyer pour l'arbre, Actes sud, 2005

« The Truth behind Tasmanian forest destruction and the japanese industry », rapport de Rainforest Action Network, 2007.

Classification

Pour citer cet article

Emmanuelle GRUNDMANN. DÉFORESTATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis [s.d.]. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Forêt de Bialowieza, Pologne - crédits :  (A. Bolbot/ Shutterstock

Forêt de Bialowieza, Pologne

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie - crédits : D. Hyde/ Shutterstock

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie

Mouvement de la ceinture verte - crédits :  (C. Pataky/ Green Belt Movement

Mouvement de la ceinture verte

Autres références