GUERRE D'ALGÉRIE
- 00:00:00
- Durée totale : 0s
La guerre d’Algérie (1954-1962) est un épisode fondateur des histoires contemporaines française et algérienne. En France, elle a provoqué la chute de la IVe République et installé au pouvoir le général de Gaulle en 1958, engendré une crise profonde de l’État débouchant sur un putsch contre la république en avril 1961. Toute une génération d’hommes nés entre 1932 et 1943 a été envoyée en Algérie pour combattre ; 27 700 soldats français sont morts en Algérie ; 1 million d’Européens d’Algérie (les pieds-noirs) ont été arrachés à leur terre natale et contraints à l’exil ; des milliers de harkis (forces supplétives musulmanes aux côtés de l’armée française) ont été massacrés au lendemain des accords d’Évian.
En Algérie, par une lutte armée dirigée par le Front de libération nationale (FLN), les nationalistes sont parvenus à se séparer de l’histoire coloniale française. Mais le prix de cette séparation a été très lourd. Les affrontements entre Algériens ont fait des milliers de victimes et la guerre d'indépendance contre la France a provoqué le déplacement de 2 millions de paysans et causé la mort de centaines de milliers d’Algériens musulmans. À la fin de la guerre, le FLN s’est installé au pouvoir.
L'insurrection de novembre 1954
En 1954, l'Algérie constitue trois départements français. Beaucoup plus, donc, qu'une colonie lointaine comme le Sénégal, ou que la Tunisie, simple protectorat. Il semble hors de question d'abandonner un territoire rattaché à la France depuis cent trente ans, avant même la Savoie (1860). Un million d'Européens y vivent et y travaillent depuis des générations. La découverte de pétrole en 1954 et la nécessité d'utiliser l'immensité saharienne pour les premières expériences nucléaires ou spatiales motivent également le refus de toute « sécession » de ce territoire français du Sud. Environ 9 millions d'Algériens musulmans sont de faux citoyens d'une république qui se veut assimilatrice : ils votent dans un collège séparé de celui des Européens depuis 1947. Le principe d'égalité, « un homme, une voix », n'est pas respecté. L'idée d'indépendance est partagée par une proportion croissante d'Algériens musulmans.
En octobre 1954, la France vit au rythme lent de la IVe République. René Coty occupe l'Élysée, Pierre Mendès France, l'hôtel Matignon et François Mitterrand est ministre de l'Intérieur. Charles de Gaulle est dans son « exil » de Colombey-les-Deux-Églises. Le colonel Bigeard et d'autres officiers parachutistes sont revenus des camps du Vietnam où les avait conduits le désastre militaire de Diên Biên Phu du 7 mai 1954.
De l'autre côté de la Méditerranée, à Carthage, en juillet 1954, Pierre Mendès France, qui vient de signer la paix en Indochine, promet une évolution vers l'autonomie pour la Tunisie et le Maroc qui, depuis trois ans, sont au bord du soulèvement général. Seule l'Algérie reste calme. En réalité, pour elle aussi, l'effet Diên Biên Phu est immense, et les plus jeunes des militants nationalistes estiment que c'est uniquement la lutte armée qui permettra d'arracher l'indépendance. Au sein du mouvement nationaliste algérien, ces militants sont encore peu connus. Ils s'appellent Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella... Ils décident de créer le Front de libération nationale (FLN). Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, explosions, incendies, attaques de postes de police sont signalés en différents points du territoire algérien, tous revendiqués par le FLN. La guerre commence en Algérie.
Le soulèvement paysan du 20 août 1955
Avec la dissolution de la principale organisation indépendantiste algérienne, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), et l'envoi, le 1er décembre 1954, de renforts militaires, Pierre Mendès France et François Mitterrand pensent mater sans peine une rébellion très minoritaire. Ils se trompent. Le 5 février 1955, Mendès France doit démissionner et, le 3 avril, le gouvernement Edgar Faure promulgue l'état d'urgence en Algérie. La censure est établie, mais officiellement on ne parle encore que d'« événements ». Jusqu'alors, l'insurrection ne mobilise que quelques centaines de militants, tenant le maquis dans l'Aurès et la Kabylie. Or, le 20 août 1955, des milliers de paysans algériens se soulèvent et se lancent à l'assaut des villes du Nord-Constantinois. L'initiative de cette action de grande ampleur revient à Youcef Zighoud, successeur de Mourad Didouche (tué en janvier) à la tête du FLN pour la région et à son adjoint, Lakhdar Bentobbal. Ce jour-là, s'achève la « drôle de guerre ». Le conflit prend son vrai visage.
Dans le Constantinois, la coexistence entre Européens et musulmans a toujours été plus tendue qu'ailleurs. Personne n'a oublié les massacres perpétrés en mai 1945 par l'armée française pour réprimer les émeutes de la faim. À Sétif et à Guelma, le bombardement des populations avait fait des milliers de victimes. Dix ans plus tard, c'est le même engrenage de violence et de répression aveugle qui se met en marche. Plusieurs milliers de paysans encadrés par des maquisards de l'Armée de libération nationale (ALN), branche armée du FLN, pénètrent dans les villes et les villages, s'attaquant aux postes de police et de gendarmerie. Des Français, des Algériens suspectés de loyalisme à l'égard de la puissance coloniale sont assassinés. Le bilan des émeutes est de 123 morts, dont 71 Européens. L'armée, appuyée par des milices privées d'Européens, riposte avec une rare violence. Officiellement, la répression fera 1 273 morts ; en fait, beaucoup plus. Ainsi prend fin le mythe des opérations de maintien de l'ordre en Algérie.
Sans le dire, la France entre en guerre et rappelle 60 000 réservistes. Jacques Soustelle, le gouverneur général de l'Algérie, jusque-là favorable à une intégration de l'Algérie à la France, est bouleversé par les massacres d'Européens et bascule dans le camp de la répression. Le temps des réformes est révolu. Avec l'inscription, le 30 septembre 1955, de la « question algérienne » à l'ordre du jour de l'ONU, le conflit entre dans sa phase d'internationalisation. En Algérie même, le fossé entre les deux communautés s'est creusé. La dynamique de la répression cristallise désormais autour du FLN un nombre croissant d'opposants à la présence française, tandis que, en France, l'affaire algérienne s'installe au cœur de la vie politique. Le Front républicain, vaste coalition de la gauche non communiste constituée après la dissolution de l’Assemblée nationale de décembre 1955, mène campagne sur le thème de « la paix en Algérie » et remporte les élections législatives du 2 janvier 1956.
Les « pouvoirs spéciaux »
L'année 1956 commence ainsi par des promesses de paix et de négociations. À peine nommé, le nouveau chef du gouvernement, Guy Mollet, leader de la SFIO, rappelle Jacques Soustelle et décide d'entamer des négociations avec les « rebelles », persuadé que les Européens d'Algérie ne sont qu'une poignée de colons richissimes. Le 6 février, il se rend à Alger où il est accueilli par les jets de tomates d'une foule d'Européens, composés de petits salariés et fonctionnaires, qui crient à « l'abandon ». Il fait aussitôt machine arrière et nomme comme ministre résidant en Algérie, le 9 février 1956, un homme à poigne, Robert Lacoste.
Ce dernier soumet à l'Assemblée nationale un projet de loi « autorisant le gouvernement à mettre en œuvre en Algérie toutes mesures exceptionnelles en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens, et de la sauvegarde du territoire ». Les décrets de mars et d'avril 1956 permettront une action militaire renforcée et l'envoi en Algérie des appelés. Des « zones de pacification » pour la protection des populations européenne et musulmane seront constituées, l'armée s'efforçant de lutter contre l'insuffisance de l'administration. Les zones interdites seront évacuées, la population sera rassemblée dans des « camps d'hébergement » et prise en charge par l'armée. Le Parlement vote massivement, par 455 voix contre 76, cette loi sur les pouvoirs spéciaux qui, entre autres, suspend en Algérie la plupart des garanties de la liberté individuelle. Les « pouvoirs spéciaux » constituent bien le tournant d'une guerre, que la France décide d'engager totalement. Dès juillet 1956, les effectifs de l'armée stationnés en permanence sur le sol algérien sont portés à 400 000 hommes et ce sont désormais des appelés qui partent pour un service militaire de vingt-sept mois de l'autre côté de la Méditerranée.
Dans le même temps, le Maroc accède à l'indépendance le 2 mars 1956 et la Tunisie le 20. C'est un réel encouragement pour les Algériens. Le FLN, lui, se renforce grâce au ralliement des mouvements religieux (Oulemas) et des « réformistes » de Ferhat Abbas, président de l'Union démocratique du Manifeste algérien, tandis que les communistes commencent peu à peu à gagner ses rangs durant l'été de 1956.
Les violences algéro-algériennes
Le 20 août 1956, les nationalistes algériens s'organisent lors d'un congrès tenu dans la vallée de la Soummam (dit « congrès de la Soummam »), au cours duquel le FLN se dote d'un programme et met en place une direction, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Pour s'assurer la conduite du mouvement vers l'indépendance, il lui faudra éliminer toutes les organisations politiques rivales, notamment le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj qui refuse de s'intégrer au FLN. Le massacre par une unité de l'ALN, le 28 mai 1957, de 374 habitants du village de Mélouza soupçonnés de sympathies messalistes, illustrera l'âpreté de ces conflits algéro-algériens. La gestion politique sur le mode autoritaire ne s'exerce d'ailleurs pas seulement sur les rivaux, mais aussi sur des populations jugées peu « loyales » ou hésitantes. Ainsi, au printemps de 1957, le CCE (Comité de coordination et d'exécution, première direction centralisée du FLN) donne l'ordre écrit aux responsables des wilayas (divisions administratives équivalant aux départements) de brûler tous les villages qui ont demandé la protection de la France, et « d'abattre tous les hommes âgés de plus de vingt ans qui y habitent ».
Cette violence s'exerce également à l'intérieur du FLN-ALN, où la lutte pour le pouvoir, l'obsession des « infiltrations » et la traque des traîtres se traduisent par des purges sanglantes. Des centaines de combattants meurent ainsi dans les années 1956-1958, victimes d'une vigilance qui dégénère en suspicion aveugle. L'armée française, évidemment, n'aura aucun mal à exploiter ces rivalités.
Dans l'engrenage de la terreur : la « bataille d'Alger »
Jusqu'alors, l'insurrection avait surtout touché les campagnes. Le congrès de la Soummam décide de l'étendre aux villes, en déclenchant des actions de terrorisme contre les quartiers européens. Le 30 septembre 1956, en fin d'après-midi, des bombes éclatent dans deux cafés du centre-ville d'Alger, le Milk-bar et la Cafétéria, faisant quatre morts et cinquante-deux blessés, parmi lesquels plusieurs enfants qu'il faut amputer. La guerre est entrée dans un engrenage de terreur dont elle ne sortira plus.
Le 22 octobre 1956, un avion transportant les dirigeants du FLN (Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et l'écrivain Mostefa Lacheraf) est contraint de se poser sur l'aéroport algérien de Maison-Blanche. Alors qu'il survolait la Méditerranée, des chasseurs de l'armée de l'air française l'ont détourné de sa destination initiale, Tunis. Les chefs historiques de l'insurrection algérienne sont transférés à Paris.
Au début de l'année 1957 commence la terrible « bataille d'Alger ». Le 7 janvier, une ordonnance du préfet d'Alger confie au général Massu et à la 10e division parachutiste les pouvoirs de police sur la ville d'Alger. Les parachutistes du général Massu brisent la grève générale décidée par le FLN le 28 janvier. En janvier et en février, des bombes explosent dans des stades d'Alger et dans des cafés de la ville, touchant des civils européens. L'armée utilise alors « les grands moyens », en particulier « les interrogatoires renforcés », c'est-à-dire la torture. Pour protester contre ces pratiques, le général Pâris de Bollardière demande, le 28 mars 1957, à être relevé de ses fonctions. D'autres bombes éclateront en juin, mais progressivement le FLN perd la partie. Yacef Saadi, le leader de la zone autonome d'Alger du FLN, sera arrêté le 24 septembre 1957.
Employée comme un procédé ordinaire de « pacification », la torture est bien la grande affaire de la bataille d'Alger. En septembre 1957, Paul Teitgen démissionne de son poste de secrétaire général de la police à Alger. En novembre 1957, à l'initiative du mathématicien Laurent Schwartz et de l’historien Pierre Vidal-Naquet, se forme le comité Maurice Audin, du nom d'un jeune mathématicien qui, après avoir été enlevé en juin 1957 par les parachutistes et torturé, a disparu (son corps ne sera jamais retrouvé). En janvier 1958 paraît le livre d'Henri Alleg La Question, qui bouleverse les consciences et révèle au grand jour la torture. « L'affaire » va déchirer l'opinion, l'Église, les familles, les partis et aggraver la crise de la IVe République.
Le 13 mai 1958 et la naissance de la Ve République
Le FLN ayant établi ses bases arrière en Tunisie, l'aviation française décide d'y pourchasser les « rebelles » algériens et, le 8 février 1958, bombarde le village tunisien de Sakiet Sidi Youcef. Il y aura de nombreuses victimes civiles. La France se retrouve isolée sur le plan international, souvent condamnée par l'Assemblée générale de l'ONU. Le gouvernement français, affaibli, ne peut pas faire face aux émeutes qui secouent Alger. Le 13 mai 1958, des manifestants européens s'emparent du siège du gouvernement général. Ils protestent contre l'exécution de trois militaires français par le FLN. Un Comité de salut public, présidé par le général Massu, est formé. Le gouvernement de Pierre Pflimlin, investi le jour même, se montrera impuissant à résoudre la crise. Le 15 mai, le général de Gaulle, sortant de son silence, se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Les manifestations de fraternisation entre Européens et musulmans se succèdent sur la place du Forum à Alger. Le 1er juin, le gouvernement du général de Gaulle est investi par l'Assemblée nationale. De Gaulle se rend à Alger dès le 4 juin et lance le fameux : « Je vous ai compris. » La IVe République se meurt. Le 28 septembre 1958, en Algérie, Européens et musulmans (dont les femmes), réunis en un collège unique, votent massivement en faveur de la Constitution de la Ve République. En octobre 1958, le général de Gaulle lance le « plan de Constantine » (réformes économiques et sociales en faveur des musulmans) et promet « la paix des braves » (23 octobre) au FLN, qui a constitué, au Caire, le 19 septembre, un organe exécutif, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Il est élu président de la République le 21 décembre 1958.
Victoire militaire et doutes politiques
Au cours de l'année 1959, la guerre atteint son paroxysme avec le plan mis au point par le général Maurice Challe, commandant militaire de l'Algérie. Les opérations « Jumelles » déclenchées par l'armée française affaiblissent considérablement les maquis de l'intérieur. Plus de 2 millions de paysans algériens sont déplacés et regroupés dans des « villages de pacification ». Parallèlement, l'armée entreprend une « action sociale » : les hommes des sections administratives spéciales (SAS) réalisent un travail d'alphabétisation et d'assistance médicale, qui sert aussi habilement la propagande et le renseignement. Du côté du FLN, les opérations militaires marquent le pas.
Dirigée par Houari Boumediene, l'« armée des frontières », stationnée au Maroc et en Tunisie, parvient de plus en plus difficilement à pénétrer sur le territoire algérien. Depuis 1957, en effet, l'armée française a mis en place, tout le long de la frontière tunisienne, un redoutable barrage électrifié, la « ligne Morice ». Le rouleau compresseur du plan Challe brise ainsi peu à peu les katibas (unités) de l'ALN. En 1960, les maquis sont réduits à quelques milliers d'hommes, affamés, terrés au plus profond des massifs montagneux. Obtenue par la force des armes, serait-ce enfin la paix ?
De Gaulle sait que le FLN dispose d'un début de reconnaissance internationale, qu'il s'appuie toujours sur « l'armée des frontières » et sur l'immigration algérienne en France (plus de 130 000 cotisants du FLN) plus que jamais décidée à obtenir l'indépendance de l'Algérie. Malgré la victoire militaire, il sait aussi que l'opinion algérienne est acquise à l'idée d'indépendance. Le moment est venu de changer de cap.
Sur la voie de l'« autodétermination »
Le soir du 16 septembre 1959, de Gaulle prononce une allocution télévisée. Il évoque le redressement de l'économie depuis son retour au pouvoir, puis passe à la situation algérienne. C'est le choc, le mot tabou est lâché : « autodétermination ». Les illusions et les ambiguïtés de sa politique sont levées. Rejetant la sécession, le chef de l'État offre aux Algériens le choix entre l'« intégration », baptisée par lui « francisation », et l'association. Ce discours marque le véritable tournant dans le règlement de la question algérienne. Il suppose la négociation ouverte avec le FLN et reconnaît à la population musulmane, majoritaire, la possibilité de trancher.
Aussitôt, les partisans de l'Algérie française crient à la trahison. Le général de Gaulle n'a-t-il pas lancé un retentissant « Vive l'Algérie française » à Mostaganem en juin 1958 ? Dans Alger bruissant d'intrigues vont se dresser les premières barricades.
Le 24 janvier 1960, les activistes pieds-noirs dirigés par Pierre Lagaillarde et Jo Ortiz tentent de sauver l'Algérie française en appelant la population européenne au soulèvement. Ne trouvant pas en elle – ni chez les parachutistes – tout le soutien escompté, ils ne défient le pouvoir qu'une semaine. Le 1er février, les insurgés se rendent. Mais la « semaine des barricades » a dévoilé d'inquiétants flottements dans le commandement militaire et a révélé l'ampleur de la tragédie à venir du « peuple pied-noir ».
Pourparlers et « porteurs de valises »
Le 25 juin 1960, les premiers pourparlers entre le FLN et le gouvernement français s'ouvrent à Melun. Ce sera un échec, mais la négociation a créé un grand espoir en France, la paix et le retour du contingent semblent proches. Pendant ce temps, les leaders algériens Ferhat Abbas et Lakhdar Bentobbal parcourent le monde pour recueillir des soutiens lors du prochain débat de l'ONU. La représentativité du FLN croît parmi les alliés africains de la France. En métropole, les organisations de gauche affirment publiquement la nécessité d'une indépendance pour l'Algérie. D'autres militants vont plus loin et s'engagent dans une solidarité active avec « la résistance algérienne ». Le réseau le plus important d'aide au FLN est celui qu'anime le philosophe Francis Jeanson. Les « porteurs de valises », comme on appellera plus tard les personnes convoyant des fonds pour le FLN, ne sont encore que quelques centaines. En septembre 1960, cent vingt et un intellectuels signent un manifeste (dit « Manifeste des 121 ») qui proclamait le droit à l'insoumission contre la guerre d'Algérie.
En décembre 1960, plusieurs dizaines de milliers d'Algériens manifestent à Alger aux cris de « Algérie indépendante ! », « Vive le FLN ! » Gendarmes et CRS tirent, faisant plus de cent victimes. Mais il est désormais évident que la voie vers l'indépendance est ouverte.
La création de l'OAS
Le 8 janvier 1961, le référendum sur la politique d'autodétermination en Algérie donne à de Gaulle une large majorité, y compris en Algérie, où seules les grandes villes ont voté contre. Au nom du gouvernement français, Georges Pompidou peut alors entamer discrètement, en Suisse, des pourparlers avec le FLN. Au lendemain de la rencontre entre le général de Gaulle et le président tunisien Habib Bourguiba, le 27 février, la France, soulagée, apprend que des négociations s'ouvriront le 7 avril.
Pour les jusqu'au-boutistes de l'Algérie française, le moment est venu. Le général Raoul Salan, interdit de séjour en Algérie, décide de jouer son va-tout. Avec l'aide de l'armée d'active, découragée de se battre, et des Européens en proie à la panique, il met sur pied une sorte de contre-révolution. Des contacts se nouent en métropole. Une Organisation armée secrète (OAS) est créée, il ne reste plus qu'à prendre le pouvoir... La révolte contre de Gaulle ne mobilise pas seulement des illuminés qui rêvent d'une Algérie impossible. Les militaires, qui ont le sentiment d'avoir gagné sur le terrain, ne veulent pas abandonner les soldats musulmans restés fidèles à la France, près de 200 000 hommes que l'on désignera sous le nom de harkis.
Pour la fin de la guerre : la lassitude de l’opinion
Le 22 avril 1961, trois des plus hautes figures de l'armée française, les généraux Maurice Challe, Edmond Jouhaud, André Zeller, rejoints le 23 par Raoul Salan, appuyés par les parachutistes de la Légion et les commandos de l'air, tentent de s'emparer du pouvoir en Algérie. L'opération, aussi mal organisée qu'impopulaire en métropole et parmi le contingent, tourne rapidement court.
Dans une allocution au verbe étincelant, de Gaulle stigmatise le « quarteron de généraux en retraite », tandis que les appelés, à l'écoute du transistor, entendent confirmer leur devoir d'obéissance à l'État. L'attitude prudente des grands chefs militaires fera le reste. Dans de nombreux corps d'armée, des généraux qui avaient promis leur soutien aux putschistes ont prudemment refusé de s'engager. La légalité reprend ses droits. Le général Challe se rend le 25 avril, l'armée d'active rentre dans le rang dans les semaines qui suivent. Suspendus en juin, les pourparlers entre le GPRA et le gouvernement français reprennent à Lugrin, en Haute-Savoie, en juillet. Mais la question du Sahara, convoité pour son pétrole et ses espaces propices aux expériences nucléaires, retarde la conclusion d'un accord.
La dernière année de l'Algérie française est marquée, des deux côtés de la Méditerranée, par la folie meurtrière de l'OAS dirigée par Salan. Plasticages en série, exécutions de personnalités jugées trop « libérales » et d'Algériens musulmans... En un an, d'avril 1961 à avril 1962, les attentats de l'OAS font 2 000 morts et le double de blessés. L'organisation activiste tente même à plusieurs reprises d'abattre le général de Gaulle.
Le 5 octobre 1961, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, instaure un couvre-feu pour les immigrés algériens. En guise de protestation, la Fédération de France du FLN organise, le 17 octobre, une manifestation pacifique. La répression sera épouvantable : plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessés, 11 500 arrestations.
De Gaulle a annoncé, le 2 octobre 1961, « l'institution de l'État algérien souverain et indépendant par la voie de l'autodétermination » et assoupli sa position sur le Sahara et les bases militaires françaises en Algérie. Les négociations peuvent reprendre. Un lieu est trouvé : Évian.
Au début de l'année 1962, en dépit des consignes de l'OAS, des milliers de pieds-noirs gagnent la métropole tandis que le contingent rechigne au combat. À travers les journaux et les syndicats, l'opinion réclame qu'on en finisse avec cette guerre. Une manifestation organisée à Paris le 8 février à l'appel de la gauche, contre les exactions de l'OAS et pour la paix, est réprimée avec violence : huit manifestants, tous militants communistes, meurent étouffés contre les grilles du métro Charonne ; on compte également cent cinquante blessés. Le gouvernement français décide d'accélérer les négociations avec le FLN. La délégation française, conduite par Louis Joxe, veut aboutir à tout prix... L'accord est enfin conclu, à Évian, le 18 mars 1962.
L'OAS, privée de ses chefs, entame aussitôt un combat désespéré. Multipliant incendies et plasticages, ses « commandos Delta » tentent de transformer Alger et Oran en « nouveau Budapest ». Le 26 mars, pour « libérer le quartier de Bab-el-Oued », l'OAS lance les civils européens dans la rue. À hauteur de la grande poste d'Alger, rue d'Isly, des tirailleurs algériens affolés ouvrent le feu sur la foule, faisant quarante-six morts et deux cents blessés.
L’exode des Européens terrorisés
Un tel fanatisme accélère la fuite des pieds-noirs, qui ne sont pas consultés, ni même très informés, sur les accords d'Évian, tandis qu'en métropole le référendum du 8 avril 1962 apporte au général de Gaulle la caution massive du peuple français : 90 % des votants disent « oui » aux accords d'Évian. Les Européens d'Algérie sont terrorisés et l'exode commence. En quelques semaines, en juin et juillet 1962, près d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants se dirigent vers « la mère patrie », que beaucoup découvrent.
Occupés par les départs en vacances, les Français n'y prêtent guère attention. Pour la masse des Algériens, « sept ans, ça suffit ». Le slogan court à travers les villes et les campagnes. C'est la fin des épreuves, le retour de la paix et de la liberté, durement conquises.
« Voulez-vous que l'Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la déclaration du 19 mars 1962 ? » Le 1er juillet 1962, en Algérie, 6 millions d'électeurs répondent « oui » à cette question, seulement 16 534 disent « non ». Les résultats, rendus publics le 3 juillet, donnent 91,23 % de « oui » par rapport aux inscrits, et 99,72 % de « oui » par rapport aux suffrages exprimés. Les villes et les campagnes sont en liesse, l'Algérie est indépendante après quatre-vingt-douze mois d'une guerre qui a causé la mort de 30 000 Français et de près de 400 000 Algériens. Le drame ne s'achève pas avec l'indépendance. Des milliers de harkis, soldats supplétifs de l'armée française, seront massacrés tout au long des années 1962 et 1963.
Mémoires de la guerre
Le bilan de la guerre d'Algérie, de part et d'autre de la Méditerranée, est très lourd. En Algérie, le conflit a fait des centaines de milliers de morts, provoqué le déplacement et l’exode de millions de personnes, déstructuré durablement l'économie. En outre, il a amené au pouvoir le FLN, parti unique qui s'est présenté comme le seul héritier du nationalisme algérien et qui a nié pendant presque trente ans tout pluralisme politique et culturel et conduit le pays au bord du gouffre. Le FLN a reconstruit une histoire officielle qui gommait les terribles affrontements algéro-algériens et présentait l'image héroïque d'un peuple unanimement massé derrière lui.
En France, si les victimes furent beaucoup moins nombreuses, le traumatisme n'en a pas été moins puissant. Faut-il rappeler que 1 300 000 soldats ont traversé la Méditerranée entre 1955 et 1962, soit la plupart des jeunes hommes nés entre 1932 et 1943 qui étaient susceptibles d'être appelés ? Toute une génération s'est donc trouvée embarquée dans une guerre dont elle ne comprenait pas les enjeux. Politiquement, le conflit a entraîné la chute de six présidents du Conseil et l'effondrement d'un régime. Or, pour des raisons singulières, la mémoire de cette guerre s'est trouvée littéralement occultée. En France, on a préféré ensevelir le souvenir de cette « sale guerre » pour ne pas avoir à écrire toutes les pages d'un épisode peu glorieux de l'histoire.
Depuis lors, la fracture a été mal réduite et les tensions, les fantasmes, les obsessions ont perduré. Sans que cela soit ni dit ni reconnu, cette « époque algérienne » submerge le quotidien français : revendications d'égalité des enfants d'immigrés algériens vivant dans les banlieues ; révoltes dans les derniers camps de harkis ; débats autour de l'immigration et définition de l'« identité française », discussions autour de la refonte éventuelle du Code de la nationalité... Si les pieds-noirs rapatriés finissent par s’intégrer, économiquement et socialement, il n'en est pas de même des harkis, souvent considérés comme « coupables » d'avoir choisi la France, et qui ont longtemps été maintenus en marge de la société française ; ni des descendants d'immigrés algériens, victimes du racisme, ballottés entre deux histoires et considérés comme « étrangers » des deux côtés de la Méditerranée.
Bien que le conflit algérien entre dans les programmes du lycée dès 1983, il faut néanmoins attendre le 10 juin 1999 pour que l'Assemblée nationale française décide de reconnaître officiellement la « guerre d'Algérie ». Mais cela n’est que le début d’un long processus d’apaisement des mémoires.
Au moment du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, la période d’amnésie a laissé la place, en France, à une phase d’hypermnésie qui s’est traduite par une multiplication de toutes sortes de discours : films, romans, autobiographies… Mais cet engouement ne traduit pas pour autant une connaissance objective et dépassionnée de l’histoire.
Cette hypermnésie nouvelle conduit plutôt à une sorte de fragmentation de la mémoire nationale en France. Différentes mémoires s’opposent, celles des soldats ou des Européens d’Algérie, celles des immigrés ou des harkis. Chacun porte une vision différente des événements, qui donne lieu à des divergences au sujet des dates de commémoration, principalement pour la fin de la guerre. En France, la loi du 6 décembre 2012 a institué une « Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc », qui a lieu le jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, le 19 mars 1962, au lendemain de la signature des accords d’Évian. Cette date, acceptée par une partie de la population, notamment les anciens combattants et les appelés, est loin de faire l’unanimité, notamment parce qu’elle ne marque pas la fin des violences. Les immigrés algériens voient plutôt la tragédie de la manifestation réprimée du FLN à Paris, le 17 octobre 1961, comme symbole tragique de la fin du conflit. Les Algériens d’Algérie commémorent quant à eux la déclaration de l’indépendance du 5 juillet 1962. Les pieds-noirs retiennent également cette date, mais en raison des enlèvements et des massacres de civils européens qui ont eu lieu à Oran ce même jour. La séparation des mémoires existe entre une rive et l’autre de la mer Méditerranée, mais également d’un même côté, notamment à cause d’un déficit de récits historiques communs. En l’absence de consensus mémoriel, une séparation se manifeste entre ceux qui veulent renoncer à toute forme de culpabilité vis-à-vis de la colonisation, qu’ils jugent positive, et ceux qui restent dans l’attente d’excuses pour la longue période coloniale.
Pour surmonter cette situation, le président de la République française Emmanuel Macron prend un certain nombre d’initiatives, amplifiant ainsi un mouvement initié par son prédécesseur François Hollande, qui avait notamment reconnu dès 2012 l’implication de la République française dans les violences commises le 17 octobre 1961. Il reconnaît donc, en 2018, la responsabilité de la France dans la disparition du militant communiste Maurice Audin, enlevé par des militaires français et mort sous la torture en 1957. Il confie également à l’historien Benjamin Stora, en juillet 2020, le soin de rédiger un rapport portant sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Remis au chef de l’État en janvier 2021, ce rapport comprend une vingtaine de préconisations, parmi lesquelles : l’ouverture plus large des archives françaises sur la période de la guerre d’Algérie ; la reconnaissance de l’assassinat de l’avocat et militant nationaliste Ali Boumendjel par l’armée française en 1957 ; la demande de pardon aux harkis, abandonnés par la France dans l’année 1962, qui donne lieu à une loi, adoptée en février 2022, portant reconnaissance et réparation des préjudices subis par eux ; l’établissement d’une commission d’historiens sur les massacres d’Européens commis à Oran en juillet 1962 ; l’érection d’une stèle en hommage à l’émir Abd el-Kader, à Amboise, la ville où il a été emprisonné en 1848 après sa reddition ; la réactivation du projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, à Montpellier ; la possible entrée au Panthéon de l’avocate Gisèle Halimi, qui militait pour l’indépendance de l’Algérie.
Dans un premier temps, estimant que le rapport est « exclusivement franco-français », les autorités algériennes ne réagissent pas. Mais les positions évoluent et, le 1er juillet 2022, dans un entretien accordé au quotidien El Moudjahid, le président du Conseil de la nation (la Chambre haute du Parlement algérien) considère que la décision du président Macron de faciliter l'accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans constitue « un geste à la fois hautement positif et très important ». Il y affirme également que le « pardon et la repentance seront […] le ciment qui va conforter nos relations, en laissant par la suite aux historiens le soin de travailler sur la Mémoire ». Quelques jours plus tard, le président Abdelmadjid Tebboune, qui reçoit à Alger Benjamin Stora pour la célébration du soixantième anniversaire de l’indépendance, insiste sur « l'importance majeure d'un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation ».
Les initiatives prises par le gouvernement français ouvrent ainsi une nouvelle période dans les « relations mémorielles » entre la France et l’Algérie. La priorité est maintenant de restituer la variété des points de vue autour de cette histoire longue, des harkis aux indépendantistes algériens, en passant par les pieds-noirs.
Bibliographie
C. R. Ageron & C. A. Julien, Histoire de l'Algérie contemporaine, 2 vol., PUF, Paris, 1979
H. Alleg dir., La Guerre d'Algérie, 3 vol., Temps actuels, Paris, 1982
Anonymes, OAS parle, éd. P. Nora, coll. « Archives », Julliard, Paris, 1970
F. Besnaci-Lancou & G. Manceron dir., Les Harkis dans la colonisation et ses suites, L'Atelier, Paris, 2008
M. Bigeard, Pour une parcelle de gloire, Plon, Paris, 1975
R. Branche, La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie, Gallimard, 2001 ; La Guerre d'Algérie : Une histoire apaisée ? Seuil, Paris, 2005
S. Chikh, L'Algérie en armes, ou le Temps des certitudes, Economica-Office des publications universitaires, Paris-Alger, 1981
Y. Courrière, La Guerre d'Algérie, coll. « Bouquins », 2 vol., R. Laffont, Paris, 1990
B. Droz & E. Lever, Histoire de la guerre d'Algérie (1954-1962), Seuil, 1982
J.-L. Einaudi, La Bataille de Paris : 17 octobre 1961, ibid., Paris, 1991
L. Gervereau, J.-P. Rioux & B. Stora dir., La France en guerre d'Algérie, BDIC, Paris, 1992
R. Girardet, La Crise militaire française, 1945-1962, Armand Colin, Paris, 1964
M. Guentari, Organisation politico-administrative et militaire de la révolution algérienne de 1954 à 1962, 2 vol., Office des publications universitaires, Alger, 1994
M. Harbi & B. Stora dir., La Guerre d'Algérie 1954-2004, la fin de l'amnésie, Laffont, Paris, 2004
A. Haroun, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France (1954-1962), Seuil, 1986
A. Heymann, Les Libertés publiques et la guerre d'Algérie, LGDJ, Paris, 1972
J.-C. Jauffret, Soldats en Algérie 1954-1962, Autrement, Paris, 2000
J.-C. Jauffret, H. Baudoin, J. Roucaud & A. Porchet, La Guerre d'Algérie par les documents, t. II, Service historique de l'armée de Terre, Vincennes, 1998
A. Kiouane, Moments du mouvement national, Dahlab, Alger, 1999
J. Lacouture, Algérie. La guerre est finie. 1962, Complexe, Bruxelles, 1985
J. Ortiz, Mon combat pour l'Algérie française, J. Curutchet, Hélette, 1998
C. Paillat, La Liquidation, Laffont, Paris, 1972
G. Pervillé, Atlas de la guerre d’Algérie, Autrement, Paris, 2003, rééd. 2012 ; Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, Vendémiaire, Paris, 2018
J.-P. Rioux dir., La Guerre d'Algérie et les Français, Fayard, Paris, 1990
B. Stora, Messali Hadj, L'Harmattan, Paris, 1986 ; Messali Hadj (1898-1974), Hachette, Paris, 2004 ; La Gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, La Découverte, Paris, 1991
S. Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d'Algérie, La Découverte, 2001
M. Vaïsse, Alger, le putsch. 1961, Complexe, 1983
P. Vidal-Naquet, La Torture dans la République, La Découverte-Maspero, Paris, 1975 ; rééd. éd. de Minuit, Paris, 1998.