HISTOIRE (Histoire et historiens) Les usages sociaux de l'histoire
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Pour Marc Bloch, dans Apologie pour l'histoire (1940), l'histoire ne se justifie pas comme une « science du passé » dont la seule vertu serait l'art pour l'art. Il fustige, dans L'Étrange Défaite (1949), le repli des savants dans leur laboratoire hors de la cité et de ses combats. Il fait ainsi écho aux comptes rendus des Annales d'histoire économique et sociale, où son ami Lucien Febvre, alors professeur au Collège de France, n'hésite pas à discréditer l'érudition sans finalité en souhaitant que la société supprime une activité aussi inutile.
Bien que mus par les impératifs de l'objectivité et de la scientificité, les deux historiens n'envisagent pas leur activité en dehors des enjeux sociaux qui marquent leur époque. Dès le premier numéro, les Annales entendent s'adresser aux « hommes d'action ». Pourtant, au sortir de la Première Guerre mondiale, Lucien Febvre avait introduit son cours d'histoire moderne à la faculté des lettres de Strasbourg par une adresse fervente pour la fin d'une « histoire serve », qu'il publiera sous le titre « L'histoire dans le monde en ruines » dans la Revue de synthèse historique en 1920. Ainsi, les pères fondateurs des Annales sont eux aussi confrontés au dilemme des historiens déchirés entre le risque de l'inutilité et la défense de l'autonomie de la discipline.
Une actualité brûlante
Au cours du xxe siècle, la conjonction du relativisme lié au linguistic turn et le recours social élargi à l'histoire et aux historiens au titre de la mémoire ou de l'expertise a fait des usages sociaux de l'histoire l'un des leitmotivs de la réflexion des historiens sur leurs pratiques. Cette situation renvoie à la perte du « noble rêve de l'objectivité » pour reprendre la formule de Peter Novick.
Dans le contexte français, le débat se concentre depuis 2005 sur les « lois mémorielles » : la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qui réprime tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (article 9 sur la négation des crimes contre l'humanité), la loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien de 1915, la loi Taubira du 21 mai 2001, qui qualifie la traite et l'esclavage comme crimes contre l'humanité, la loi du 23 février 2005 dont l'article 4 imposait, avant son abrogation, l'enseignement du « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
Le législateur empiétant de plus en plus sur les domaines de l'historien, les pétitions et des mouvements organisés par la profession historique, le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (C.V.U.P.H.), la pétition « pour la liberté de l'historien », dénoncent l'instrumentalisation de l'histoire et ses usages non savants.
D'un côté, la demande sociale s'énonce sous deux formes concurrentes : sur le mode subjectif, il s'agit de la recherche de souvenirs communs qui va forger la solidarité et l'identité du groupe, ce que Renan décrivait dans Qu'est-ce qu'une nation ? (1882) comme l'une des conditions d'existence de la nation. De l'autre, cette demande sociale accorde aux historiens la capacité de dévoiler la vérité sur les faits et gestes, sur les crimes et les fautes des acteurs individuels et collectifs du passé.
Il est séduisant de décrire ce phénomène comme l'effet d'une nouveauté absolue et de considérer cette demande sociale et la complaisance ou l'indignation dont les historiens feraient preuve à son égard comme un signe des temps. En vérité, c'est oublier que l'activité historiographique s'est d'emblée avérée indissociable des enjeux du pouvoir et de l'action politique.
Aux origines
Dans les sociétés anciennes, la production historique s'inscrit dans deux traditions parallèles en rapport étroit avec le pouvoir politique et ses aléas. Dans la Chine impériale, la tradition historiographique s'entend, depuis les annales de Sima Qian, comme le récit chronologique de la dynastie et l'un de ses titres de justification.
Dans les cités grecques, les érudits qui, tel Hellanicos de Mytilène, instaurent des chronologies civiques, contribuent à justifier et fonder la cité, au même titre que les desservants des cultes consacrés à la cité. Mais ces usages politiques de l'histoire sont aussi propices à l'émergence d'une tradition plus critique. L'œuvre de Thucydide se comprend comme une forme de lutte à distance, qui s'explique à la lumière de l'ostracisme qui l'a éloigné d'Athènes.
Depuis lors, d'autres histoires présentent cette particularité : la difficulté à discriminer la vocation partisane de la véritable entreprise de savoir. Au iie siècle avant J.-C., l'historien grec Polybe, otage de Rome, se demande dans son œuvre pour quelles raisons le monde ne plus fait qu'un sous la conduite de Rome. Polybe l'affirme : son histoire est destinée à servir de guide à l'homme d'action, à celui qui conduit les affaires, le pragmatikos aner.
Dans la même perspective, l'essentiel de l'historiographie romaine, Tite-Live et Tacite en particulier, ne se lit que comme magister vitae. Le lecteur doit puiser dans leurs œuvres des exemples moraux, des exempla, modèles de comportement. Ainsi, chemin faisant, toute la tradition occidentale, y compris celle du Moyen Âge, ne s'inscrit à aucun moment dans l'idée d'une écriture de l'histoire distincte des conditions de sa production. Les histoires écrites pour la plus grande gloire du souverain, comme les grandes chroniques de France ou les vies de saints le sont pour illustrer et célébrer des institutions dont le principe de vérité prévaut sur celui de la seule production historiographique.
L'existence même de la charge d'historiographe royal depuis la fin du Moyen Âge illustre l'évidence de cette histoire asservie. Déjà l'apparition des historiens de cour, comme le furent Froissart ou Philippe de Commynes, démontre cette dépendance des histoires à l'égard du maître. Selon le protecteur dont il dépend, Froissart change la tonalité de son propos. Justification, légitimation et propagande sont étroitement associées dans cette histoire écrite à l'ombre du pouvoir.
La réflexion sur les usages de l'histoire bascule quand la discipline émergente se dote de moyens de discriminer l'apocryphe de l'authentique. Dès ce moment, l'indépendance intellectuelle de la démonstration va faire tout le prix du recours à l'histoire et aux historiens. La tension entre les usages sociaux de l'histoire et son impératif de vérité devient patente.
Entre science et propagande
La force argumentative et justificatrice de la tradition ou de l'héritage de ce qui a été explique pourquoi le recours à l'histoire est une constante ; les progrès du savoir de la Renaissance et du xixe siècle en renforcent l'attrait. Depuis le xvie siècle, la discipline, consacrée pour sa capacité à discriminer le vrai du faux, a suscité des commandes toujours plus nombreuses au service des forces politiques.
Durant les guerres de religion, le recours aux nouvelles preuves historiques de l'authenticité est permanent. Lorsque les historiens catholiques et protestants s'affrontent, l'argumentaire historique intervient juste après les arguments théologiques. Ainsi, Matthias Flacius Illyricus (1520-1575), l'animateur des Centuries de Magdebourg (Ecclesiastica Historia secundum singulas Centurias, 1559-1574) entend impulser cette histoire collective pour combattre les fondements de la tradition catholique et démontrer les erreurs de protestants concurrents.
À cette science de combat répond l'entreprise du général de la congrégation de l'Oratoire, cardinal et bibliothécaire du Vatican en 1596, Cesar Baronius (1538-1607). Il compose des Annales ecclésiastiques (1588-1593) qui embrassent toute l'histoire de l'Église, depuis les premiers temps jusqu'en 1198. L'ouvrage corrige les erreurs des Centuries de Magdebourg lorsqu'elles mettent en doute la tradition de l'Église. Ainsi, les érudits catholiques démontrent la fausseté de la légende de la papesse Jeanne, invoquée par les érudits protestants pour prouver l'interruption de la tradition du trône de saint Pierre.
Dans la même veine, les ordres savants, mauristes et bollandistes, ont au départ un véritable cahier des charges qui consiste à épurer les vies de saints des éléments apocryphes, afin de les étayer face à l'adversaire protestant ou à la concurrence des ordres rivaux. À la fin du xviie siècle, une véritable commande est passée par Louis XIV à Dom Mabillon afin que ces ordres nourrissent de diplômes authentiques les revendications territoriales de la France. Ces bella diplomatica montrent à quel point la logique des droits historiques commande le recours à l'histoire.
Sans multiplier les exemples au fil des siècles, la création d'un comité d'études en février 1917, par Charles Benoist, à la demande d'Aristide Briand, illustre la pérennité de cette commande politique sur une histoire qui se veut scientifique. Pour les illustres universitaires de cette commission, la plupart historiens, il s'agit de démontrer, avec les armes de la science, documents d'archives à l'appui, que les positions de la France vis-à-vis de l'Allemagne sont fondées en termes historiques. Le mode d'argumentation, l'appareil des notes et les citations précises des sources primaires confortent le statut scientifique de cette prose.
Bien évidemment, cet usage politique des travaux historiques bénéficiant de l'onction scientifique est encore plus évident dans les régimes totalitaires. Au cours des années 1930, la transformation des travaux des historiens soviétiques sur l'expansion impériale russe, de la condamnation à la reconnaissance de l'œuvre « civilisatrice », coïncide trait pour trait avec les besoins idéologiques de l'instauration du socialisme dans un seul pays selon Staline.
Une histoire nationale
Au-delà de la commande reconnue et acceptée par l'historien s'organise une zone grise où la quête de la vérité s'inscrit dans le contexte de production d'une légitimité pour une collectivité. Ainsi, le xixe siècle devient le « siècle de l'histoire » parce que l'histoire s'y fait science tout en fournissant l'arsenal de justifications et d'identifications qui fonde les États-nations. Dans cette phase de « fabrication » des entités nationales, la création d'une historiographie nationale, preuve de l'ancienneté de la nation et de sa consécration nécessaire sous la forme d'un État, grève d'anachronismes les écrits savants. Aussi bien les érudits allemands autour de l'entreprise des Monumenta Germaniae historica que les historiens libéraux de la Restauration remplissent ce rôle de constructeurs d'une geste nationale. Le succès des procédures critiques selon les canons de la science historique allemande ne freine pas le phénomène mais tend au contraire à démontrer la valeur objective de ces démonstrations. En 1876, Gabriel Monod délivre dans l'article inaugural de la Revue historique la forme la plus achevée de cette imbrication de l'idéal savant et de la célébration nationale : « C'est ainsi que l'histoire, sans se proposer d'autre but et d'autre fin que le profit qu'on tire de la vérité, travaille d'une manière secrète et sûre à la grandeur de la Patrie en même temps qu'au progrès du genre humain ».
L'histoire pour éduquer
La construction du sentiment national détermine le rôle essentiel de l'histoire dans les programmes scolaires au fil du xixe siècle. Les manuels d'Ernest Lavisse illustrent ce rôle « d'instituteur national » de l'historien, souligné par Pierre Nora, qui produit les linéaments d'une conscience et d'une mémoire nationales : « Si l'écolier n'emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales ; s'il ne sait pas que ses ancêtres ont combattu sur mille champs de bataille pour de nobles causes [...] s'il ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son fusil, l'instituteur aura perdu son temps. Voilà ce qu'il faut que dise aux élèves-maîtres le professeur d'histoire à l'école normale comme conclusion de son enseignement » (Ernest Lavisse, L'Enseignement à l'école primaire, 1912). Cet usage de l'histoire justifie les guerres qui se déroulent autour du contenu des manuels et des programmes d'histoire : guerre des manuels catholiques contre les manuels laïcs au temps de la séparation des Églises et de l'État, ou polémique plus récente suscitée par l'article 4 de la loi du 23 février 2005 sur l'enseignement du « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
Aujourd'hui, l'hostilité de la plupart des historiens des régimes démocratiques à cette constitution historiographique d'un credo national entraîne la mise en évidence d'un autre objectif pour l'enseignement de l'histoire. Dans le système d'enseignement français qui lui consacre tant de place et s'alarme lorsque celle-ci est menacée, l'histoire devient la mère des vertus civiques, une véritable propédeutique à l'exercice de la démocratie grâce à la méthode historique.
Déjà en 1907, Charles Seignobos le pressent quand il affirme que l'apprentissage de l'esprit critique et l'intérêt pour l'histoire préparent les élèves à devenir des citoyens actifs, convaincus de la capacité des hommes à agir sur le destin de la cité.
De l'éducation morale à l'éducation civique en passant par la formation du sentiment national, l'histoire apparaît comme un moyen évident de conformation des esprits par ses représentations et par sa méthode. Cet usage explique que Paul Valéry, dans Regards sur le monde actuel (1931), la décrive comme le produit le plus dangereux de l'alchimie de l'intellect.
Fabrication de mémoire, thaumaturgie identitaire
Le triple contexte de la mondialisation, du déracinement et la disparition des traces du passé a contribué à un véritable culte de la mémoire collective comme forme substitutive de l'identité pour les différents groupes qui composent les États. Dans un premier temps, les historiens ont parfois joué un rôle de thaumaturge au même titre que les anthropologues ou les sociologues. Ils deviennent les accoucheurs de consciences d'être et de sentiments d'appartenance presque enfouis. Et l'émergence de « l'histoire orale » dans les années 1970 aux États-Unis, en Italie, en Allemagne (autour de l'Alltagsgeschichte) puis en France a concouru au mouvement. Certains congrès ou débats d'historiens tournent de manière privilégiée autour de ces questions : reconnaissance de l'histoire des Aborigènes depuis 2000 en Australie, débat sur la colonisation en France.
Cette entreprise, perçue à l'origine comme la restitution de la vision des vaincus de l'histoire, s'est retournée contre l'activité des historiens. Ce processus articulé aux formes juridiques de la reconnaissance identitaire, sous l'avatar de la réparation, est devenu une double menace pour le travail historique tout à la fois jugé sans valeur par rapport à l'assertion du témoin et en même temps sommé de servir de caution aux revendications communautaires. Cette double contrainte sur le travail de l'historien s'exprime dans le cadre judiciaire.
Au tribunal de l'histoire
Déjà, les historiens dreyfusards jouent un rôle essentiel pour démontrer l'inanité des preuves matérielles contre Dreyfus au cours du procès Zola en 1898, puis devant la cour de Rennes lors de la révision du procès l'année suivante.
Depuis l'affaire Dreyfus, la judiciarisation croissante des rapports sociaux et l'appel systématique aux experts ont préparé l'entrée des historiens dans les prétoires. Rares et mal reconnus avant les années 1980, ces recours à l'expert historien se multiplient avec la remise en cause d'un passé lointain dont les témoins disparaissent. L'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité en France, le caractère inaliénable de tous les objets et restes cultuels dans les tombes amérindiennes aux États-Unis (affirmé par le Native American Graves Protection and Repatriation Act voté en 1990), ou les conséquences de la réactivation des traités les plus anciens accordés aux peuples autochtones par le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982 favorisent ce recours à « l'historien expert ».
Dans ce contexte qui articule les interrogations identitaires de sociétés en rupture avec le passé et la judiciarisation des rapports sociaux, les historiens sont convoqués dans un rôle d'expert qui ne se limite pas à l'établissement des faits. En France, leur statut incertain, « expert » privé de la communication du dossier d'instruction, limite leur action à éclairer le jury d'assise sur le contexte (comme l'ont montré les procès Touvier et Papon) ; aux États-Unis et au Canada l'intervention sur les faits, comme expert-témoin (expert wittness) se fait rapidement interprétatif.
Curieusement, cette intervention dans l'arène judiciaire renvoie l'historien à un rôle récusé par beaucoup d'entre eux, celui de juge. Pourtant, les historiens acceptent de s'engager d'eux-mêmes sur le terrain judiciaire. Pierre Vidal-Naquet se reconnaît dans ce droit d'intervention dont il s'empare pour user des armes de la critique historique, en particulier en 1958 avec L'Affaire Audin. Afin d'établir l'innocence de son ami Adriano Sofri, accusé du meurtre d'un commissaire de police milanais, Carlo Ginzburg invoque son expérience professionnelle, acquise à la lecture des procès d'inquisition du xvie et xviie siècles, pour démonter l'argumentation des attendus du jugement.
Dans les deux cas de figure, l'intervention partisane repose d'abord sur l'affirmation de la démarche historienne.
Les formes nouvelles de la commande
Témoin, avocat d'une cause, l'historien est surtout sollicité comme expert, en accord avec l'importance donnée à la pratique de l'expertise. En France, l'État y a recouru à plusieurs reprises : rapport rédigé par Henry Rousso sur l'université Lyon-III et l'extrême droite ou rapport de la commission d'enquête Mattéoli sur le sort des biens juifs ; l'Église également : rapport sur l'Église de France et Paul Touvier. Cette démarche est parfois utilisée par des personnes privées : rapport sur Pierre Cot et l'U.R.S.S. sollicité par ses héritiers.
Sous une autre forme, les historiens sont employés à titre professionnel pour fournir l'État en services à travers des commissions ministérielles ad hoc sous la forme de comités (ministère des Finances, ministère de la Culture...) ou bien sous la forme d'emplois administratifs.
Cette commande prend aussi la forme d'une demande d'histoire privée, formulée par les entreprises à des fins d'édification, de constitution du lien au sein de l'entreprise, voire avec des visées pragmatiques. Cette forme de la public history, peu en vogue en Europe occidentale, en dépit de quelques exceptions, forme un véritable secteur d'emplois dont témoignent des entreprises de plusieurs dizaines de salariés (archivistes, documentalistes, historiens et archéologues) qui fournissent tout à la fois des services d'enquêtes, des expertises judiciaires, des histoires d'entreprises et des expositions, comme History Associates Incorporated.
Quelles que soient les formes de la commande, ces usages décalés de la science remettent en cause la posture savante de l'objectivité au profit du parti pris. Si on considère cette objectivité proclamée comme une illusion, un masque pour l'idéologie, les nouveaux usages de l'histoire n'entraînent aucune perte. Une autre solution consiste, à l'instar des expert wittness historiens d'outre-Atlantique, à envisager chaque vérité particulière comme une contribution à l'établissement de la vérité générale. Le débat devient alors épistémologique en se portant sur la nature de la vérité scientifique en histoire.
Diffusion de la littérature historique et démultiplication des usages
Ces usages de l'histoire sont inséparables du statut très singulier de la discipline parmi les sciences humaines ; en dépit de la captation de nombreuses démarches des disciplines voisines, la structure narrative de ses versions vulgarisées et son faible recours à une terminologie technique expliquent sa très large diffusion par rapport aux autres sciences humaines. L'histoire est la seule des sciences humaines qui fasse l'objet de concours télévisés et qui nourrisse les fictions cinématographiques. Même aux États-Unis, une enquête datant de la fin des années 1990 démontre qu'il s'agit, dans le cadre de sociétés savantes, d'un des passe-temps favoris des Américains.
En dépit de la crise de l'édition en sciences sociales, l'histoire demeure la discipline la plus diffusée, celle dont les revues destinées à un public élargi connaissent toujours le succès le plus vif. Cette influence sur les représentations explique que le seul combat autour de l'instrumentalisation ne résume pas le rapport du pouvoir, de la société et des historiens. Les historiens s'engagent autant d'eux-mêmes qu'ils sont soumis à une commande et, s'ils ne contrôlent pas les effets sociaux de leur production, la confiance même qu'ils ont en leur démarche les conduit à rechercher la reconnaissance sociale de leurs travaux. Il reste alors à savoir si la recherche d'une vérité unique, le dévoilement des mythes et des erreurs ou la suggestion d'interprétations inédites constituent l'enjeu des usages de l'histoire.
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