ENDOCRINIEN SYSTÈME
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La coordination des activités au sein d'un organisme pluricellulaire nécessite l'existence de « dialogues » entre les différentes cellules qui le constituent. Cette communication peut se réaliser selon trois grandes modalités : communication directe, grâce à l'existence de jonctions communicantes par lesquelles les substances de petit poids moléculaire peuvent diffuser librement (de telles jonctions sont présentes dans les épithéliums ou le myocarde, par exemple) ; communication par contact entre des molécules présentes sur les membranes cellulaires (ces mécanismes de reconnaissance sont importants pour l'assemblage des cellules en tissus, ou dans la reconnaissance du soi et du non-soi et dans les réactions de défense de l'organisme) ; communication sans contact, via la sécrétion par certaines cellules (cellules émettrices) de molécules (médiateurs chimiques) qui agissent à distance sur d'autres cellules (cellules cibles).
Au sein de ce troisième type, qui met en jeu des médiateurs diffusibles, on distingue classiquement trois modalités différentes :
– si le médiateur est libéré à proximité immédiate de la cellule-cible, au niveau d'une jonction cellulaire polarisée (synapse), il s'agit d'un neurotransmetteur ou neuromédiateur ;
– si le médiateur agit à courte distance en diffusant vers sa cible, c'est une substance paracrine (ou autocrine si la cible est une cellule de même type que la cellule émettrice) ;
– si le médiateur est sécrété dans la circulation sanguine qui généralise sa diffusion, le mode de communication est dit endocrinien, et le médiateur est appelé hormone.
Le concept d'hormone fait suite à celui de sécrétion interne élaboré par Claude Bernard en 1855 grâce à ses expériences mettant en évidence la sécrétion de glucose dans le sang par le foie. L'énigme anatomique posée par diverses formations glandulaires dépourvues de canaux excréteurs a été résolue par la corrélation entre l'état de ces glandes (hypertrophie, dégénérescence...) et diverses pathologies ainsi que par des expériences d'ablation (par exemple castration) ou de restauration (greffes, injection d'extraits). Celles-ci constituèrent la base de tests biologiques d'activité qui permirent l'isolement des principes actifs. Le premier d'entre eux, la sécrétine, produite par la muqueuse duodénale et qui stimule la sécrétion d'acide chlorhydrique par les cellules bordantes de l'estomac, fut isolé en 1905 par Ernest Henry Starling qui lui donna le nom d'hormone. La définition donnée plus tard par Starling (substances produites dans des cellules d'une partie du corps et transportées par le sang dans des régions éloignées où elles agissent) était trop large, car elle englobait des substances comme le glucose évoqué ci-dessus. Dans la définition actuelle, on réserve le terme hormone pour des substances exerçant des effets spécifiques sur certaines cellules cibles (cf. endocrinologie). La découverte de sécrétions hormonales par des cellules nerveuses (travaux de Kopeć, puis de Scharrer en 1935) amena la création des termes « neurohormone » et « neurosécrétion » pour décrire les hormones produites par des cellules nerveuses et le rôle fondamental de celles-ci dans l'interconnexion entre le système nerveux et le système endocrinien. Soulignons que les cellules nerveuses sont apparues très tôt au cours de l'évolution, et que la fonction neurosécrétrice a précédé l'apparition des glandes endocrines – et donc celle des hormones sensu stricto.
L' endocrinologie classique a permis d'identifier un certain nombre de glandes endocrines bien individualisées (fig. 1). Mais, à côté de celles-ci, il existe des cellules endocrines dispersées, par exemple au sein du tractus gastro-intestinal. Certains composés sont en fait à la fois des neurohormones sécrétées dans le sang et des neurotransmetteurs dans le système nerveux central, ce qui pose le problème de leur statut exact. Par ailleurs, la limite entre hormones et facteurs paracrines reste floue, en particulier chez les invertébrés qui possèdent un système circulatoire non clos. Enfin, quel statut donner aux interleukines, par exemple, sécrétées par des leucocytes et susceptibles d'agir à la fois localement et à distance lors des réactions inflammatoires ?
En outre, la connaissance des mécanismes d'action de ces différentes substances permet de distinguer un certain nombre de catégories, qui sont assez largement indépendantes de la classification précédente.
Ces diverses données amènent à reconsidérer actuellement les différentes catégories de messagers chimiques définies précédemment, et à proposer une autre classification, qui repose cette fois sur une base fonctionnelle (tabl. 1) :
– les neurotransmetteurs « rapides », qui agissent à courte distance sur des récepteurs-canaux (affinité relativement faible, action rapide et brève) ;
– les neurotransmetteurs « lents », qui agissent à courte distance sur des récepteurs interagissant, via des protéines de couplage dites protéines G, avec des canaux ioniques (affinité plus forte, action moins rapide et prolongée) ;
– les neuromodulateurs, qui sont sans effet lorsqu'ils agissent seuls mais qui, en se fixant sur les récepteurs précédents, modulent leurs réponses aux neurotransmetteurs ;
– les hormones et facteurs paracrines, qui agissent à des distances plus ou moins grandes de leur lieu de sécrétion.
Soulignons pour terminer que, dans cette classification, une même molécule peut se retrouver (c'est même fréquent) dans plusieurs catégories, et que par ailleurs une même cellule peut produire plusieurs messagers appartenant éventuellement à des catégories différentes.
Les molécules de la communication hormonale
Les hormones des animaux, vertébrés et invertébrés, appartiennent à différentes catégories chimiques : des dérivés d'acides aminés, des peptides/(glyco)protéines et des lipides.
Biosynthèse
Les dérivés d'acides aminés sont les catécholamines (adrénaline et noradrénaline), la dopamine, la thyroxine et la mélatonine. Ces petites molécules ont peu évolué et pour certaines d'entre elles se retrouvent à l'identique dans un grand nombre d'espèces animales.
Les messagers peptidiques et protéiques sont issus de la traduction d'ARNs conduisant à la formation de précurseurs protéiques qui devront subir une maturation plus ou moins complexe avant d'être sécrétés (fig. 1). Cette maturation comporte dans tous les cas le clivage d'un peptide signal caractéristique des protéines sécrétées (qui permet leur passage dans les cavités du réticulum endoplasmique du cytoplasme de la cellule qui les produit) avant qu'elles soient externalisées telles quelles ou après une éventuelle glycosylation dans l'appareil de Golgi. Dans d'autres cas, le produit de traduction subit des clivages supplémentaires, conduisant à un (dans le cas de l'insuline) ou à plusieurs peptides actifs (identiques ou différents). Ce clivage, réalisé par des enzymes appelées convertases, qui reconnaissent le plus souvent des motifs formés par des doublets d'acides aminés basiques (lysine, arginine), peut varier selon les cellules et conduire ainsi, à partir d'un même précurseur ou prohormone, à des peptides matures différents, ce qui est le cas pour POMC ou DH/PBAN. Les peptides peuvent subir des modifications de leurs extrémités (amidation du côté C-terminal, pyroglutamination du côté N-terminal) qui ont pour effet de les rendre plus résistants vis-à-vis des protéases et ainsi d'augmenter leur demi-vie.
En plus de la diversité induite par les mécanismes de clivage des produits de la traduction, il existe une diversité liée à la phase de transcription de gènes de structure complexe et contenant de nombreux introns. Ils peuvent, par épissage alternatif entre les unités codantes, donner des transcrits différents à partir desquels seront formés (traduction de l'ARN) des peptides différents (c'est le cas par exemple du gène codant pour la calcitonine, une hormone régulant la calcémie, et pour le CGRP, un facteur vasodilatateur).
La comparaison des séquences de ces peptides (et de la structure de leurs gènes) permet de les regrouper en familles, et ainsi de souligner la conservation importante de ces molécules au cours de l'évolution attestant de leur origine très ancienne. Ainsi, la famille de l'insuline présente une remarquable homogénéité depuis les spongiaires jusqu'à l'homme (fig. 2). Des comparaisons similaires pourraient être réalisées dans le cas de nombreuses hormones ubiquitaires ou restreintes à certains groupes animaux. On peut donc considérer que les messagers hormonaux, une fois apparus, ont le plus souvent conservé leur fonction hormonale, malgré une diversification limitée de leurs structures.
Dans la catégorie des lipides, on distingue trois grandes catégories de messagers lipidiques : les stéroïdes (dérivés du cholestérol : progestérone, œstradiol, testostérone, cortisol, ecdysone...), les terpènes (rétinoïdes, hormones juvéniles des insectes) et les eicosanoïdes (dérivés d'un acide gras insaturé à 20 carbones, l'acide arachidonique : prostaglandines, leucotriènes et HPETE – acides hydroxyperoxyeicosanoïques). Ces petites molécules présentent une grande diversité structurale, mais une très bonne conservation à l'intérieur d'un groupe animal.
La biosynthèse des stéroïdes nécessite l'action coordonnée d'enzymes présentes dans différents compartiments cellulaires (mitochondries, réticulum lisse, cytosol) et, partant, de « navettes » permettant de transporter les intermédiaires les plus hydrophobes). La fonctionnalisation du noyau stérolique est réalisée par deux familles d'enzymes, des hydroxylases (enzymes à cytochrome P450) et des oxydo-réductases (cf. stéroïdes).
Sécrétion et transport
La sécrétion des messagers hormonaux dépend étroitement de leur nature. Les composés lipidiques diffusent hors des cellules productrices où leur synthèse et leur sécrétion sont directement couplées. Les hormones peptidiques sont libérées lors de l'exocytose de vésicules de sécrétion issues de l'appareil de Golgi. Cette sécrétion peut s'opérer selon deux voies, l'une dite constitutive et l'autre régulée. Cela signifie que les hormones peuvent s'accumuler dans les cellules productrices, dont l'analyse du contenu ne permet pas d'apprécier la dynamique du système (l'activité sécrétrice). Dans le cas des neurohormones, le site de sécrétion peut être éloigné du site de production, les extrémités des axones neurosécréteurs étant regroupées dans des organes « neurohémaux » tels qu'on peut les observer dans la neurohypophyse.
Le transport des hormones dans le sang pose un problème dans le cas des composés hydrophobes, dont la solubilité dans l'eau peut être très faible. C'est là qu'interviennent des protéines de transport, généralistes (comme les albumines, protéines majeures du plasma) ou au contraire très spécifiques. Outre la solubilisation, ces protéines de transport limitent l'excrétion urinaire des petites molécules (hydrophobes ou non, d'ailleurs) et les protègent également contre une éventuelle destruction par des enzymes circulantes. Leurs fonctions ne se limitent pas toutefois à une simple augmentation de la demi-vie des hormones. On a en effet montré que ces transporteurs peuvent participer à une libération localisée de leur ligand (fig. 3) : ainsi, le transporteur du cortisol (CBG) peut être dégradé au niveau des sites d'inflammation, libérant localement le stéroïde. Par ailleurs, ces transporteurs peuvent participer à un véritable ciblage des hormones ; en effet, selon le concept classique, seules les hormones libres peuvent entrer dans les cellules cibles et la dissociation du complexe hormone-transporteur est nécessaire pour que l'hormone puisse agir ; mais on a montré récemment que certaines cellules possèdent des récepteurs membranaires des transporteurs, ce qui leur permet de capter activement les complexes et ainsi de faire entrer très efficacement les hormones dans les cellules.
Les récepteurs
Récepteurs membranaires et nucléaires
Classiquement, on considère que les messagers macromoléculaires (protéines) ou polaires (peptides, catécholamines) ne peuvent pas entrer dans les cellules cibles et agissent sur des récepteurs membranaires (effets rapides), tandis que les hormones apolaires (stéroïdes) pénètrent dans les cellules cibles et agissent via des récepteurs nucléaires (effets lents). Actuellement, toutefois, cette dualité tend à s'estomper.
Les récepteurs membranaires permettent une transduction du signal à l'intérieur des cellules et vont ainsi modifier l'activité de celles-ci. Ces récepteurs sont de plusieurs types : récepteurs-canaux (ioniques), récepteurs-enzymes, récepteurs agissant grâce à des protéines de couplage (protéines G) avec des canaux ioniques ou des enzymes. Les enzymes peuvent être des protéines-phosphorylases (kinases) ou -phosphatases, participant à des mécanismes de régulation (souvent en cascade) de diverses activités cellulaires. Les mécanismes de transduction peuvent être plus complexes lorsque ces enzymes produisent des « seconds messagers » (nucléotides cycliques : AMP, GMP ; inositol triphosphate ; oxyde d'azote NO...), petites molécules à durée de vie courte régulant l'activité de diverses protéines-kinases. Ces différents récepteurs correspondent à diverses familles de protéines regroupées selon leurs parentés structurales, généralement bien conservées au cours de l'évolution, de même d'ailleurs que les divers acteurs des cascades de transduction. Les récepteurs membranaires induisent souvent des réponses rapides, résultant de la régulation de facteurs préexistants. Ils peuvent toutefois induire des réponses plus lentes (activation/répression de gènes), résultant de cascades d'activation (kinases, phosphatases) dont les acteurs terminaux seront des facteurs de transcription.
Les récepteurs nucléaires constituent une superfamille de protéines qui sont des facteurs de transcription régulés par la fixation de ligands (stéroïdes, hormones thyroïdiennes, acide rétinoïque, calcitriol) ; la phylogénie de ces récepteurs est bien connue et permet de les regrouper en sous-familles. Ils agissent selon les cas sous forme d'homodimères (stéroïdes de vertébrés) ou d'hétérodimères avec un partenaire différent (RXR, USP).
S'il est bien établi que les médiateurs lipidiques agissent via des récepteurs nucléaires pour déclencher des réponses transcriptionnelles, relativement lentes, il existe de nombreux exemples (en particulier dans le système nerveux central) où des stéroïdes (neurostéroïdes) déclenchent des réponses membranaires rapides. Selon les cas, ces effets peuvent mettre en jeu de véritables récepteurs membranaires (éventuellement mais pas nécessairement apparentés aux récepteurs nucléaires – ils peuvent présenter des pharmacologies différentes) ou agir en se dissolvant dans la membrane et en modifiant l'environnement – et donc l'activité – de certaines protéines membranaires.
Un messager, plusieurs récepteurs différents
La présence de différents types de récepteurs pour un même messager est une donnée classique, que ce soit pour les neuromédiateurs (récepteurs nicotinique et muscarinique de l'acétylcholine), ou les hormones, comme les catécholamines (récepteurs α, β1, β2... de l'adrénaline), conduisant ainsi à des réponses très différentes, voire opposées, des cellules qui « expriment » tel ou tel type de récepteur.
De façon plus subtile, les récepteurs peuvent présenter plusieurs isoformes, issues de gènes ayant subi une duplication ou issues d'un même gène par épissage alternatif comme par exemple dans le cas des hormones stéroïdes. De ce fait, les effets transcriptionnels d'une même hormone seront différents selon l'isoforme du récepteur présent, et cette diversité sera encore amplifiée dans le cas des hormones dont les récepteurs forment des hétérodimères avec des partenaires présentant eux aussi cette diversité : on tient là une des explications de la diversité des réponses tissu-spécifiques à une même hormone.
Le métabolisme postsécrétoire des hormones : une source de diversité et un rôle « actif » des cibles
Les messagers produits par les cellules endocrines ne sont pas toujours directement actifs : certains sont sécrétés sous forme de « précurseurs inactifs » et nécessitent des modifications postsécrétoires plus ou moins importantes : clivage(s) protéolytique(s) pour des peptides/protéines (angiotensinogène), réduction (3-déhydroecdysone en ecdysone), hydroxylation (ecdysone en 20-hydroxyecdysone), désiodation (T4 en T3), qui se produiront selon les cas dans le sang (l'hémolymphe) ou dans des tissus périphériques (foie des mammifères, corps gras des insectes...).
Ce métabolisme peut également intervenir au niveau des cellules cibles et présenter alors plusieurs facettes : ainsi, le glucagon peut être clivé par une enzyme présente à la surface membranaire pour donner du mini-glucagon, un composé qui possède ses propres récepteurs ; la testostérone peut être réduite en 5α-dihydrotestostérone ou transformée en œstradiol – ces deux exemples illustrent une possible diversification des réponses à un même messager circulant selon que la cellule cible possède telle ou telle enzyme. Ce processus peut prendre des formes encore plus subtiles : ainsi les cellules du tubule contourné distal du rein des mammifères, dont l'activité est contrôlée par l'aldostérone possèdent une 11β-hydroxystéroïde-déshydrogénase qui inactive le cortisol capable de se lier au récepteur de l'aldostérone (cette inactivation évite que le récepteur de l'aldostérone ne soit en permanence saturé par le cortisol, qui circule à de bien plus fortes concentrations) ; dans un autre registre, les corps allates des insectes, source de l'hormone juvénile (JH), produisent à certains moments un précurseur inactif de celle-ci, la JH acide : seuls certains tissus, capables de transformer (pour leur propre compte) la JH acide en hormone active répondent comme si l'hémolymphe contenait de la JH.
On voit donc dans ce qui précède que les cellules cibles ne se contentent pas de « subir » passivement les effets des messagers circulants, mais qu'elles prennent au contraire une part active dans la mise en place de réponses très diversifiées.
Les systèmes de régulation
Organisation générale
L'activité de toute cellule endocrine nécessite un contrôle précis, qui implique que celle-ci perçoive (ou reçoive) un certain nombre d'informations (ou d'instructions). Cela peut se réaliser de façon très simple, comme par exemple dans le cas des cellules épithélioendocrines de la paroi du tube digestif, qui possèdent à la fois une fonction sensorielle (gustative) et sécrétrice (hormonale).
Les systèmes endocriniens présentent en fait différents niveaux de complexité (fig. 4) : dans les cas les plus simples, la cellule (neuro)endocrine reçoit des informations en provenance du système nerveux central ou est directement sensible aux variations de certains paramètres du milieu intérieur (osmolarité, glycémie...), mais le nombre d'intermédiaires peut devenir plus important et aboutir ainsi à des systèmes dits de « troisième ordre » où l'on observe une cascade neurohormone → hormone 1 → hormone 2 → cellule cible (cas du système hypothalamo-hypophyso-gonadique, par exemple), où plusieurs glandes endocrines sont placées « en série ». Ces systèmes de troisième ordre n'ont été à ce jour décrits que chez les Vertébrés, ceux de second ordre sont trouvés chez les Insectes (contrôle de la mue, par exemple) et d'une façon générale chez les espèces possédant des glandes endocrines (qui sont très souvent placées sous le contrôle de neurohormones), tandis que les systèmes de premier ordre, d'origine très ancienne, mettent en jeu principalement des neurohormones et sont bien documentés, y compris chez des métazoaires primitifs comme les hydres d'eau douce (Cnidaires). L'apparition de niveaux de complexité supérieurs ne s'accompagne pas de la disparition des systèmes plus simples ; tous coexistent au sein d'un même animal.
Les systèmes de rétrocontrôle ou feed-back
La régulation des glandes endocrines met fréquemment en jeu des mécanismes de contrôle multiples, activateurs ou inhibiteurs, dont la balance assure un ajustement précis de leur activité. Il existe de fait, pour contrôler l'activité de diverses glandes endocrines, des stimulines et des inhibines. De plus, les taux hormonaux circulants sont eux-mêmes impliqués dans ces processus de régulation, en effectuant des actions de rétrocontrôle (ou « feed-back »), positives ou négatives (fig. 5). Ces rétrocontrôles peuvent s'exercer sur les glandes endocrines elles-mêmes (on parle alors de feed-back court), ou sur des cellules situées en amont dans le système de régulation (feed-back long).
Des feed-back négatifs sont une caractéristique classique des systèmes endocriniens impliqués dans l'homéostasie c'est-à-dire des systèmes chargés de réguler un paramètre physiologique, comme par exemple la glycémie. En revanche, on trouve des feed-back positifs dans le cas où les hormones ont pour mission de déclencher un évènement particulier (décharge ovulante de lutropine et ovulation, ocytocine, contractions utérines et parturition, ecdysone et mue des insectes, thyroxine et métamorphose des amphibiens...). Cela se traduit par l'apparition de pics hormonaux, résultant d'une autoactivation directe de la glande par son hormone (feed-back court) ou/et d'une boucle plus complexe. En réponse à cet effet activateur, les taux hormonaux atteignent des valeurs élevées qui sont alors susceptibles de provoquer une inhibition (par feed-back négatif cette fois) des glandes et un retour à un taux basal des hormones.
Ainsi, les sécrétions hormonales sont soumises à de multiples contrôles : dans le cas de l'insuline, par exemple, la sécrétion hormonale est régulée à la fois par le paramètre à réguler (la glycémie), par voie nerveuse (centre insulinosécréteur), et par voie humorale (hormones du tractus digestif) ou paracrine (glucagon, somatostatine).
L'évolution des systèmes endocriniens
Invertébrés
Le besoin de coordination des activités cellulaires des Métazoaires, comme les éponges ou les méduses, s'est traduit par la mise en place très précoce de structures nerveuses produisant à la fois des neuromédiateurs et des neurohormones : chez les Cnidaires ont été isolés de nombreux peptides dont les fonctions de neuromédiateurs ou de facteurs paracrines sont d'ailleurs loin d'être totalement élucidées. Notons que l'un de ces peptides, l'activateur céphalique, a été retrouvé à l'identique chez les mammifères.
Ce n'est qu'ensuite que sont apparues des glandes endocrines et de « véritables » hormones, chez les mollusques et les arthropodes (tabl. 2). Le système endocrinien atteint son maximum de complexité chez les Insectes, avec en particulier deux systèmes principaux que constituent les glandes de mue qui produisent les ecdystéroïdes et les corps allates, qui sécrètent les hormones juvéniles (voir insectes). Les hormones de mue sont produites par l'ensemble des Arthropodes (insectes, crustacés, arachnides) et l'anatomie comparée nous permet d'illustrer un scénario probable pour l'apparition des glandes de mue, absentes (ou non identifiées) chez les crustacés inférieurs et les arachnides. Les arthropodes primitifs sont dépourvus de glandes de mue, et l'on pense que les cellules épidermiques dans leur ensemble sont la source d'ecdysone, qui jouerait presque un rôle de « second messager » à action autocrine. Chez des espèces plus évoluées, une région spécifique de l'épiderme est devenue la source principale de cette hormone, avant de se détacher de l'épiderme et de constituer une glande endocrine épithéliale sans lien avec celui-ci. Notons que par ailleurs les insectes produisent des (neuro)hormones peptidiques/protéiques dont certaines sont fortement apparentées à des hormones de vertébrés : c'est le cas en particulier de l'insuline (bombyxine) très proche de l'hormone humaine mais qui, ici, est une neurohormone produite par des cellules du système nerveux central.
Vertébrés : unité et diversité
Chez les Vertébrés, les familles d'hormones présentes sont bien conservées, bien que l'on note une certaine diversité des structures et surtout des fonctions. Dans certains cas, la conservation concerne à la fois les structures et les fonctions : c'est le cas par exemple des insulines. Dans d'autres cas, les structures sont conservées, mais les fonctions biologiques ont évolué : ainsi, la prolactine a un rôle dans l'osmorégulation des poissons et une action stimulatrice des glandes mammaires chez les mammifères. On pourrait citer de nombreux exemples pour montrer que les messagers sont mieux conservés que les messages (qui dépendent en particulier de la nature des tissus qui possèdent des récepteurs).
Dans le cas des hormones stéroïdes, on notera que les stéroïdes gonadiques sont apparus les premiers, et qu'ultérieurement les stéroïdes surrénaliens sont apparus, en deux temps, glucocorticoïdes chez les Sélaciens, puis minéralocorticoïdes chez les Téléostéens avec l'apparition des nouvelles enzymes nécessaires à leur biosynthèse, et celle de nouveaux récepteurs. Concernant les stéroïdes sexuels, seul l'estradiol possède des récepteurs chez les lamproies, le récepteur des androgènes n'étant apparu que plus tard (donc bien après son ligand, puisque celui-ci est un intermédiaire de la biosynthèse de l'estradiol).
Les scénarios évolutifs
De nombreuses hormones ont une origine très ancienne et sont présentes dans (presque) tous les groupes animaux ; d'autres sont apparues plus récemment et leur distribution est plus restreinte, par exemple aux seuls vertébrés. Ce sont les progrès de la génomique et de la phylogénie qui permettent de proposer des scénarios évolutifs, à différentes échelles, concernant les hormones, leurs récepteurs, voire les enzymes produisant les hormones (stéroïdogenèse).
La diversification s'est effectuée par des mécanismes très généraux de duplications géniques (parfois de duplications de génomes entiers), de duplication d'exons et de mutations, conduisant à une diversification et, parfois aussi, à la disparition de gènes. Dans certains cas, des mécanismes de transcription inverse d'ARN messagers ont conduit à la formation de gènes dépourvus d'introns. La duplication des gènes a autorisé davantage de mutations, source de diversité ayant permis l'acquisition de nouvelles fonctions. Nous pouvons citer en exemple des hormones de la neurohypophyse des mammifères, la vasopressine et l'ocytocine, qui dérivent d'un ancêtre commun, et dont l'histoire évolutive a pu être reconstituée.
Des scénarios analogues peuvent être proposés pour les récepteurs, dont l'évolution doit accompagner celle de leurs ligands. Cette coévolution nécessaire peut être illustrée avec le cas des récepteurs des principales hormones stéroïdes des vertébrés.
Pour les hormones lipidiques, une origine alimentaire est possible (ce que l'on retrouve pour la vitamine D) ; pour les amines et les peptides, il pourrait s'agir de produits de dégradation des protéines ingérées ; pour d'autres enfin, de métabolites secondaires de plantes. On peut de même s'interroger sur l'origine des récepteurs. Les récepteurs membranaires sont-ils issus de molécules d'adhésion cellulaire ou de récepteurs sensoriels (par exemple gustatifs) ? Les récepteurs nucléaires sont-ils issus d'enzymes du métabolisme (détoxication) ou de facteurs de transcription ayant acquis des sites de régulation allostérique et dont les ligands, de xénobiotiques, seraient devenus endogènes ? Tout cela reste bien sûr au stade des hypothèses, qui ont leur place dans l'interprétation de l'évolution.
Dans cette optique, nous retiendrons tout d'abord que, avec l'accroissement des connaissances et la mise en évidence de très nombreuses hormones produites par le tube digestif, la notion d'hormone est devenue un peu « floue ». Les progrès technologiques ont conduit à une augmentation très rapide du nombre des hormones identifiées, et ce dans de très nombreux groupes animaux. Ces données ont été acquises par deux approches très différentes, que nous pouvons appeler endocrinologie « classique » et endocrinologie « inverse ». La première correspond à l'approche historique qui partait de la fonction (bioessai) pour aboutir à l'isolement du facteur actif (hormone), alors que la seconde, très utilisée en endocrinologie comparée, part des structures pour aller vers les fonctions, dont nous avons vu qu'elles ne sont pas toujours conservées. Cela a conduit, que ce soit pour les messagers ou pour les récepteurs, à l'identification de molécules dont les fonctions (pour les hormones putatives) ou les ligands (pour les récepteurs « orphelins ») ne peuvent pas toujours être élucidés par simple analogie, et qui souvent réservent bien des surprises (avec par exemple la découverte de récepteurs nucléaires qui lient des acides gras, des acides biliaires ou diverses molécules végétales). Mais, finalement, est-ce que les premières « hormones » n'étaient pas issues de l'alimentation ?
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