• Niveau
  • 1
  • 2

sommaire

VIES DES MEILLEURS PEINTRES, SCULPTEURS ET ARCHITECTES, Giorgio Vasari Fiche de lecture

  • 00:00:00
  • Durée totale : 0s

Écrit par

  • Martine VASSELIN : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence

Galerie des Offices, Florence - crédits : Gordon Bell/ Shutterstock

Galerie des Offices, Florence

Le peintre et architecte de la cour du duc de Toscane Côme Ier de Médicis, Vasari d'Arezzo (1511-1574), semble avoir été sollicité dès 1543, par le cercle d'intellectuels fréquentant la maison du cardinal Alexandre Farnèse, pour rédiger des biographies des artistes italiens depuis le renouveau des arts, en raison de sa capacité à « parler en peintre ». Son manuscrit, soumis au lettré Annibale Caro, fut confié à Lorenzo Torrentino, l'imprimeur du duc de Toscane, et parut en 1550, précédé d'une dédicace au duc, le louant du mécénat éclairé qu'il exerce en digne héritier de ses ancêtres Médicis. L'évolution des arts entre 1545 et 1565 environ, les déplacements récents de Vasari dans la péninsule et les informations complémentaires qu'il put réunir sur les jeunes artistes, notamment étrangers, et sur les maîtres anciens, le poussèrent à réécrire en grande partie son ouvrage et à en présenter une version très élargie, publiée à Florence en 1568 par Jacopo Giunti. Par son ampleur historique, le sérieux de sa documentation, sa richesse d'informations techniques, sa verve et la variété de ses portraits d'artistes, l'ouvrage constituait une innovation remarquable : il fut lu, imité et cité pendant des siècles et constitue toujours l'une des sources fondamentales pour la connaissance et l'appréciation des artistes italiens du xive au xvie siècle.

Une perspective historique triomphale

Les Vies sont une collection de récits qui trouvent leur place, approximativement chronologique, dans un cadre solidement structuré. L'art est si ancien qu'il est vain d'en rechercher les origines, qui se confondent presque avec celles de l'humanité ; il atteint une première perfection dans la Grèce antique et décline progressivement durant les siècles de l'Empire romain. Les « barbares » déferlant sur cet Empire lui portent un coup fatal, et peut-être plus encore le zèle pieux des papes acharnés à éradiquer le paganisme. Des sombres siècles médiévaux où les arts sont en léthargie renaissent, grâce au « climat » toscan, à ses vaillants artistes et à la faveur divine, la bonne architecture, puis la sculpture et enfin la peinture, grâce à Cimabue. Le renouveau s'opère en trois étapes, selon l'édition de 1550, quatre selon celle de 1568. Les premières lumières des pionniers du xive siècle, qui retrouvent avec Giotto la voie de l'observation et de l'imitation de la nature ; la formulation des bonnes règles au Quattrocento (ordre, par la perspective ; mesure, par l'étude des proportions des corps ; dessin, par l'exercice d'après le modèle vivant et l'étude des antiques) : Masaccio en est la figure inaugurale et Pérugin, puis Signorelli, les figures conclusives ; l'âge de la perfection au début du xvie siècle, atteinte grâce à la triade Léonard, Michel-Ange, Raphaël, à laquelle s'ajoutera Titien ; enfin les épigones et les maîtres au lendemain du sac de Rome (1527) montrent la diversité des voies possibles après ces exemples insurpassables. Le divin Michel-Ange, seul artiste vivant auquel était consacrée une biographie, la dernière, dans l'édition torrentina est suivi, dans la giuntina, par des écoles et divers groupes et c'est l'autobiographie de Vasari qui clôt le recueil dans sa version définitive. Dans cette vaste fresque, la priorité florentine est sans cesse affirmée au prix d'injustices à l'égard des Siennois et des Romains du Trecento, de Venise et des centres d'Italie du Nord pour les siècles suivants. Vasari ne cesse en effet d'affirmer l'importance capitale de mécènes généreux et de protecteurs éclairés qui fournissent aux artistes les occasions de montrer leur virtù (leur caractère) et de rivaliser d'inventivité : les Médicis sont intimement liés à cette histoire, qui est aussi un éloge politique et un témoignage de reconnaissance personnelle

Des biographies d'un type nouveau

Vasari combine de façon plaisante et variée des récits sur les artistes qu'il veut soustraire à l'oubli (leurs origines et leurs maîtres, leurs amitiés, leurs compagnonnages, leurs voyages et les commandes reçues) et des catalogues plus ou moins nourris d'œuvres, dont certaines font l'objet d'évocations enthousiastes sur le mode de l'ekphrasis (description éloquente), comme si les protagonistes et les lieux en étaient réels. Grâce à un réseau d'informateurs et à des « interviews » de témoins âgés, à l'exploration qu'il fait des archives et des inscriptions funéraires, à sa propre collection de dessins de maîtres, il n'est que rarement en défaut quant aux attributions et à la chronologie relative des réalisations. Il porte sur les œuvres un regard technique, rendant à chacun son apport spécifique. Sur le modèle des recueils de nouvelles toscanes, de Boccace à Bandello, ces vies sont aussi des « caractères », illustrant la diversité des tempéraments, des curiosités et des passions, des qualités et des défauts. Le ton pompeux de la louange alterne avec la gaieté, le pittoresque et la capacité à nous faire revivre des personnages et leurs destins.

Les goûts et les convictions d'un maniériste éclectique

Dans les chapitres introductifs aux Vies, qu'il s'agisse du débat sur la primauté des différents arts (résumé de l'enquête d'un membre de l'Académie florentine, Benedetto Varchi, auprès des artistes) ou des exposés sur les diverses techniques artistiques, l'accent est sans cesse mis sur la supériorité des aspects intellectuels, sur la subtilité de la conception, l'ingéniosité créative, la profondeur des idées symbolisées et des émotions véhiculées. Le dessin, père des trois arts, se révèle double : disegno interno qui n'est autre que l'image de l'œuvre à venir dans l'esprit de l'artiste, avatar de la pensée néo-platonicienne, et le disegno esterno, traduction de ce concept sur le papier par la main exercée qui obéit à cette injonction mentale.

Mais le second moment de l'art est celui de l'observation de la nature : l'esquisse est confrontée à l'étude du modèle vivant. Le but de l'art est l'illusion de la réalité, la fidélité et la ressemblance, et Vasari admire tous les progrès accomplis dans les procédés artistiques qui l'ont favorisé, comme l'invention de la peinture à l'huile attribuée à « Jean de Bruges » (Van Eyck). En peintre qui, comme il le dit lui-même, n'a cessé de relever des défis à la limite de l'impossible par l'ampleur et les délais impartis, Vasari admire chez les autres la prouesse, la virtuosité, l'ardeur et la fécondité, et il reprend à son compte l'idéal de la sprezzatura, la trompeuse aisance, que Baldassare Castiglione conseillait en tout à son Courtisan. Vasari est en effet un artiste de cour et cette situation, si elle lui a paru parfois éprouvante, a agi sur lui comme un perpétuel aiguillon, le poussant à démontrer son talent et à « stupéfier » par des œuvres jamais vues. Les Vies sont ainsi un monument à sa propre gloire et à la gloire d'artistes présentés comme des êtres exceptionnels.

— Martine VASSELIN

Bibliographie

G. Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, éd. critique sous la dir. d'A. Chastel, 12 vol., Berger-Levrault, Paris, parus de 1981 à 1989.

Études

T. S. R. Boase, Giorgio Vasari, the Man and the Book, Princeton Univ. Press, 1971

L. Collobi Ragghianti, Il Libro de'disegni del Vasari, 2 vol., Florence, 1974

R. Le Mollé, Georges Vasari et le vocabulaire de la critique d'art dans les « Vite », université de Grenoble-III, 1989

Z. Wazbinski, Vasari et son histoire des arts du dessin. À la source de la biographie artistique moderne, Université de Torun, Pologne, 1972.

Classification

Pour citer cet article

Martine VASSELIN. VIES DES MEILLEURS PEINTRES, SCULPTEURS ET ARCHITECTES, Giorgio Vasari - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis [s.d.]. Disponible sur : (consulté le )

Média

Galerie des Offices, Florence - crédits : Gordon Bell/ Shutterstock

Galerie des Offices, Florence

Autres références