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VISUALISATION DE L'ACTIVITÉ DU CERVEAU

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Comment voir ce qui se passe dans le cerveau, lorsque nous ressentons, pensons ou agissons ? Jusqu’au début des années 1950, on devait se contenter des enregistrements de l’activité électrique du cerveau, comme les tracés d’électroencéphalographie. Depuis cette époque, de considérables progrès technologiques et le développement des recherches scientifiques sur les activités cérébrales ont démontré tout l’intérêt de visualiser sous forme d’images à deux ou trois dimensions l’activité en temps réel du cerveau de sujets humains, de manière à comprendre les mécanismes physiologiques des fonctions cérébrales. Il est communément admis que de telles recherches en imagerie cérébrale permettent, par exemple, de savoir quelles régions du cerveau humain réalisent certaines fonctions, comme l’implication du lobe temporal dans le langage ou la mise en jeu du cortex préfrontal dans la prise en compte de certaines règles de jeux.

Le centre du langage en 1864 - crédits : Wellcome Library, Londres/ CC-BY 4.0

Le centre du langage en 1864

Carte de l’activité cérébrale par électroencéphalographie - crédits : 1958 Published by Elsevier Ireland Ltd. Reprinted with permission from Elsevier

Carte de l’activité cérébrale par électroencéphalographie

Ces études reposent sur l’établissement de corrélations spatio-temporelles – dans l’espace et dans le temps – entre l’activation locale de régions du cerveau humain et la réalisation simultanée d’une tâche cognitive. Les interprétations qui sont généralement données des images ainsi acquises dépendent de certains choix théoriques, par exemple selon que l’on favorise l’établissement d’un modèle associant certaines fonctions cognitives au découpage macroscopique anatomique et fonctionnel des aires cérébrales – auxquelles on attribue des propriétés et des fonctions propres – ou que l’on favorise l’établissement de relations structure-fonction entre des circuits neuronaux – connus, mais seulement identifiés précisément chez l’animal – et la réalisation d’une fonction perceptive et cognitive de plus bas niveau, telle la reconnaissance des visages. Pour cette raison, les interprétations théoriques sont parfois contradictoires et requièrent toujours plus de recherches qui associent plusieurs techniques, l’utilisation de modèles animaux proches de l’homme (primates non humains) ainsi que des méta-analyses comparant les résultats de diverses approches pour forger des théories unifiées, en accord avec les études cliniques neurologiques et psychologiques de patients présentant des troubles fonctionnels avec ou sans lésion du cerveau.

Les recherches en imagerie cérébrale fonctionnelle constituent donc un domaine extrêmement diversifié dans lequel sont employées une infinité de techniques de visualisation des activités cérébrales, avec des schémas épistémologiques complexes, de sorte qu’une analyse historique critique de la neuro-imagerie fonctionnelle peut seule éclairer pour le non-spécialiste les tendances actuelles et ce qu’on peut en attendre.

Notion d’activité cérébrale

Une activité du cerveau est un acte (un mécanisme) qui rend compte de la réalisation des fonctions du cerveau. Au début du xixe siècle, pour l’anatomiste Franz Joseph Gall, « l’activité du cerveau » se définit en effet par sa proportionnalité à la quantité de fonctions cérébrales réalisées ; pour lui, il ne fait aucun doute que celle du fœtus est « très restreinte ». Dans la seconde moitié du xixe siècle, à l’ère de la physiologie expérimentale, l’activité d’un organe comme le cerveau, c’est non seulement – comme pour Gall – l’activité de ses fonctions nerveuses vitales qui rend compte d’un « état de fonction » de l’organe, mais aussi celle de ses phénomènes biologiques essentiels qui dépendent de l’activité organique et vitale des cellules (Claude Bernard). Avec l’étude de la respiration, des sécrétions, des muscles et des nerfs, la physiologie distingue déjà, et jusqu’à aujourd’hui, les activités chimiques de la combustion respiratoire, celles des glandes, et celle des phénomènes électriques des nerfs et des muscles, en y ajoutant encore, par exemple, celles qu’on peut à présent visualiser comme la consommation de glucose par les neurones.

C’est dire combien l’on ne « voit » pas réellement le cerveau fonctionner, mais que l’on est seulement capable de visualiser des variations dans l’intensité des activités biologiques de régions du cerveau associées à l’acte, la sensation ou la pensée. En effet, certaines d’entre elles varient selon les tâches, cognitives en particulier, effectuées par le cerveau. Parmi ces activités, la consommation par les neurones d’oxygène et de glucose et l’accroissement local de la circulation sanguine cérébrale servent de nos jours à visualiser le niveau d’activité des régions du cerveau, comme cela avait déjà été possible avant la Seconde Guerre mondiale par la mesure régionale des activités électriques cérébrales. « Voir » fonctionner le cerveau consiste donc à repérer des variations locales d’une activité métabolique, de diffusion ou d’affinité chimique d’une molécule, ou encore d’une activité électrique, à reconstruire mathématiquement dans l’espace les signaux correspondants, sous forme de cartes à deux ou trois dimensions, et à suivre l’évolution de cette cartographie dans le temps.

Visualiser l’activité électrique des neurones

Le concept de « visualisation » d’une activité physiologique se développe à la fin du xixe siècle, en France avec le développement des travaux d’Étienne-Jules Marey (1830-1904) et la réalisation d’instruments sophistiqués pour transcrire un paramètre physiologique – mesuré par un appareil pneumatique et (ou) mécanique comme pour la pression artérielle – en une trace graphique quantitative. Au milieu du xxe siècle, des signaux électriques d’origine cérébrale en réponse à une stimulation simple, récoltés à la surface du cerveau d’animaux, sont visualisés par des oscillographes cathodiques reliés à des électrodes placées sur différentes régions du cerveau. On photographie l’écran où s’inscrit le tracé de chaque signal, que l’on reporte ensuite sur la zone du cerveau où il a été détecté, représentée sur un schéma anatomique. On construit ainsi une cartographie des zones activées en lien avec cette stimulation.

À partir des années 1950, on ajoute à ces cartographies des informations relatives à l’échelle cellulaire en reportant les activités électriques de neurones uniques enregistrées à l’aide de microélectrodes. On classe alors ces neurones selon la corrélation de leur activité avec une certaine fonction (comme la reconnaissance des visages) et l’on représente leur position sur des schémas anatomiques du cerveau. L’utilisation d’un système de coordonnées polaires lors des enregistrements, pour positionner les électrodes en des sites choisis à l’intérieur du cerveau d’un animal (stéréotaxie), permet de réaliser des cartographies des aires du cerveau en représentant les localisations précises des activités fonctionnelles des neurones repérés. Cette technique est encore très utilisée chez l’animal pour les cartographies fonctionnelles fines dont les résultats sont corrélés avec la position exacte des types de neurones, telle qu’elle est connue par des études d’anatomie microscopique (cytoarchitectonie).

L’imagerie cérébrale par électroencéphalographie

Durant le xixe siècle et jusqu’aux années 1920, les études de l’activité électrique du cortex cérébral ne pouvaient être menées que sur l’animal. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1920 qu'elles furent rendues possibles sur des sujets humains vigiles, par enregistrement d’une activité électrique à la surface du scalp – c’est-à-dire au travers des os crâniens – corrélée avec un état psychologique apaisé et qui rend compte d’une activité électrique neuronale globale du cortex, de faible fréquence, le rythme alpha.

C’est au cours des années 1930 que les premières visualisations d’une activité cérébrale par électroencéphalographie furent développées, avec l’objectif premier de localiser dans le cerveau l’origine du rythme alpha, puis de localiser des tumeurs cérébrales.

Cette technique, nommée toposcopie, permit ensuite de comprendre comment des activités cérébrales se propagent dans le temps à travers différents territoires cérébraux, à la suite de stimulations visuelles par exemple. Elle s’est ultérieurement et progressivement complexifiée durant les décennies 1950 et 1960 jusqu’à parvenir à visualiser des activités électriques cérébrales dans deux, puis trois dimensions, en multipliant le nombre d’électrodes utilisées (jusqu’à une soixantaine), et cela par le développement de traitements mathématiques sophistiqués des signaux recueillis pour en déterminer l’origine exacte dans le cerveau.

Le développement des méthodes d’enregistrement électrographique – réalisé conjointement sur le cœur et sur le cerveau (électrocardiographie, électroencéphalographie), avec plusieurs électrodes – et des traitements mathématiques de plus en plus complexes ont permis de réaliser des progrès considérables dans cette technique – encore utilisée de nos jours pour étudier les dynamiques rapides des activités électriques cérébrales – et d’aboutir ainsi à une véritable visualisation des activités du cerveau à partir des anciennes « cartographies électroniques ».

L’imagerie cérébrale fonctionnelle par radioéléments

L’imagerie utilisant des éléments radioactifs se développa au même moment que l’usage des radio-isotopes en biochimie et en physiologie. En bref, une molécule rendue radioactive par incorporation d’un isotope radioactif est introduite dans la circulation sanguine et connaît des variations locales de sa concentration selon des phénomènes de diffusion, en fonction des différentes affinités chimiques des tissus pour cette molécule et de son possible métabolisme dans certains cas.

Les premières visualisations d’une activité cérébrale utilisant une molécule radioactive (comme du krypton 81mKr ou du 131 trifluorométhane) furent réalisées après sacrifice de l’animal par autoradiographie, c’est-à-dire par des photographies de coupes histologiques de tissus cérébraux réalisées avec un film sensible au rayonnement de la molécule injectée préalablement in vivo dans l’animal (voie intraveineuse), et ayant diffusé à l’intérieur du cerveau.

Cette technique autoradiographique fut utilisée au cours des années 1950 par Seymour Kety (1915-2000) pour réaliser des mesures de la circulation sanguine cérébrale locale chez l’animal. Un modèle mathématique fondé sur la connaissance des propriétés de diffusion de la molécule radioactive dans le cerveau – dont la concentration augmente localement à la suite de l’injection jusqu’à équilibre puis diminue avec une diffusion secondaire – permet de déduire en chaque région du cerveau les débits sanguins locaux au moment du sacrifice de l’animal. L’autoradiographie, encore utilisée actuellement pour acquérir des données fonctionnelles à très haute résolution spatiale chez l’animal ou post-mortem chez l’homme, a permis de réaliser par exemple, dans les années 1970, des visualisations de l’activité métabolique locale du cortex visuel dont l’organisation fonctionnelle fut étudiée chez le chat lors de diverses conditions expérimentales (déprivation de lumière) de manière à en déduire les relations structure-fonction des réseaux neuronaux impliqués.

Activité cérébrale estimée par tomographie par émission de positons (TEP) - crédits : Brookhaven National Laboratory/ Science Source/ Getty Images

Activité cérébrale estimée par tomographie par émission de positons (TEP)

Les techniques autoradiographiques présentent au moins deux limitations majeures : la nécessité de travailler sur des tissus morts et les problèmes de détection de la radioactivité dans les tissus traités par les techniques histologiques. En outre, elles sont nécessairement statiques. Aussi, au cours de ces mêmes années, des techniques d’imagerie utilisant des isotopes radioactifs furent adaptées pour des mesures fonctionnelles chez l’homme en utilisant des scanners, permettant des mesures de radioactivité non invasives selon des plans de coupe (scan) du cerveau (tomographie). On put alors réaliser progressivement et conjointement sur le cœur et le cerveau – ces études étaient généralement conjointes, du moins à leur début – la mesure régionale du volume sanguin local avec le technétium 99m (99mTc, produisant un rayonnement gamma) et la mesure de la consommation locale de glucose en utilisant le 18F-fluorodésoxyglucose (18FFDG, produisant des positons). Ces mesures par scintigraphie et tomographie d’émission monophotonique (TEMP avec 99mTc, single photon emission computed tomography – SPECT) ou de tomographie par émission de positons (TEP avec 18FFDG, positon emission tomography – PET) permirent de réaliser des images localisant les activités cérébrales dans les plans sagittaux, frontaux et transversaux, et des reconstructions des activités du cerveau en trois dimensions. On aboutit ainsi à une cartographie fonctionnelle dynamique associant régions et réalisation de fonctions. L’imagerie par TEMP et celle par PET aboutirent in fine à des résultats assez similaires, mais, pour des raisons de coût de production des radio-isotopes et des détecteurs, l’imagerie par TEMP se répandit plus largement (pour la PET, l’usage d’un cyclotron était requis pour la production du 18FFDG, dont la demi-vie n’atteignait pas deux heures).

Imagerie par magnétométrie

Enregistrement de magnétoencéphalographie - crédits : SIM Laboratoire/ BSIP

Enregistrement de magnétoencéphalographie

Durant les années 1980, d’autres techniques de visualisation des activités du cerveau furent développées selon des lignes de recherche antérieures, mais en s’affranchissant des contraintes liées à l’usage de la radioactivité. À la fin des années 1960, l’une d’entre elles consistait à exploiter la mesure de l’effet magnétique de faible intensité produit par l’activité électrique des neurones pour produire des cartes d’activité. Ces mesures furent ensuite facilitées par le développement de détecteurs magnétiques très sensibles (magnétomètres), les SQUID (superconducting quantum interference device). Dix années plus tard, de nouveaux appareils de mesure associant plusieurs centaines de capteurs permirent l’imagerie fonctionnelle du cerveau par magnétoencéphalographie (MEG).

On s’aperçut assez rapidement que la MEG et l’EEG aboutissaient généralement à des informations équivalentes, ce qui n’empêche pas que ces deux technologies soient encore actuellement utilisées pour leur résolution temporelle unique permettant l’étude de la dynamique rapide des activités cérébrales. Ainsi, dès les années 1990, des cartographies fonctionnelles nouvelles des activités du cortex visuel ont pu être obtenues par MEG. Le plus souvent, à l’échelle des grandes aires corticales, les résultats ont confirmé les données des enregistrements électriques chez l’animal ou les sujets humains. En 1997, la MEG a permis par exemple de découvrir que le cortex auditif représente les sons selon deux paramètres – la fréquence et la périodicité – dans des régions du cortex auditif, selon deux gradients orthogonaux, et selon un principe général d’organisation fonctionnelle caractérisant également le cortex visuel.

L’avantage principal de la MEG est de pouvoir mesurer des délais d’activation très courts des différentes régions corticales (quelques millisecondes) et de pouvoir définir les séquences spatio-temporelles précises de leur mise en jeu dans les traitements des informations. Une telle approche a été par exemple très utile pour l’étude des réseaux de neurones impliqués dans la reconnaissance des visages, en permettant de réaliser une implémentation neuronale des modèles cognitifs, c’est-à-dire de créer des modèles décrivant comment, à partir des informations codées dans les aires visuelles, certains neurones spécialisés d’autres régions corticales encodent des paramètres des visages en vue de les percevoir et de les reconnaître.

Ces approches, qui requièrent une résolution temporelle excellente des visualisations des activités cérébrales, ne sont pas encore utilisées systématiquement dans l’étude de toutes les fonctions cognitives, qui mettent pourtant en jeu, très probablement, des processus neuronaux rapides, dont la connaissance est pertinente pour expliquer les mécanismes en jeu. Cependant, il est possible d’avoir une idée de certains de ces mécanismes par les études réalisées antérieurement dans beaucoup de domaines par EEG et par MEG.

Imagerie par résonance magnétique nucléaire

IRM fonctionnelle du cortex visuel humain - crédits : © 1991 AAAS. Reprinted with permission from AAAS

IRM fonctionnelle du cortex visuel humain

Une autre voie de recherche concerna l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) qui fut développée au départ principalement – comme cela fut le cas pour les autres techniques – pour la détection de tumeurs et d’anomalies morphologiques, et qui reste l’outil de choix pour la visualisation de l’anatomie cérébrale chez des sujets humains. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que l’IRM fut utilisée pour mesurer en temps réel le taux d’oxyhémoglobine dans le sang avec le signal dit BOLD (blood oxygen level dependent) qui n’apparaît pas avec une hémoglobine ayant « livré » son oxygène. Le signal BOLD est donc un indicateur de la consommation locale d’oxygène utilisable dans une technique non invasive. On put alors faire l’imagerie d’une autre activité cérébrale locale indirectement corrélée à l’activité électrique des neurones : la consommation locale d’oxygène d’un petit volume de tissu cérébral. Rapidement, l’IRM fonctionnelle (IRMf) s’imposa et supplanta les techniques utilisant des radio-isotopes pour les études de psychologie expérimentale avec des sujets volontaires, car elle ne nécessite aucun élément radioactif et ne présente apparemment aucun risque d’utilisation chez l’homme.

L’imagerie multiple par combinaison des techniques

Les différentes techniques d’imagerie ont évolué séparément et convergent parfois en donnant des informations équivalentes, avec toutefois des avantages exclusifs pour certaines, comme la résolution temporelle des activités cérébrales pour l’EEG et la MEG, la précision de localisation spatiale des activités cérébrales pour la TEMP, la TEP et l’IRMf, et la résolution spatiale relativement bonne de l’IRM anatomique. Pour ces raisons, il devient courant d’associer des mesures multiples d’EEG ou de MEG à des images d’IRM reconstruites en trois dimensions et de comparer systématiquement ces résultats à ceux de l’IRMf en utilisant les repères spatiaux communs des atlas stéréotaxiques implémentés dans les logiciels d’acquisition des données. Il est à présent courant de représenter les données EEG et MEG, après traitement mathématique, sur des images IRM reconstruites en trois dimensions.

Les différentes techniques d’imagerie continuent d’évoluer les unes vers les autres, avec par exemple de nouveaux protocoles d’acquisition d’images IRMf à des intervalles de temps plus courts et une meilleure résolution temporelle de l’ordre de la centaine de millisecondes, tandis que les techniques EEG et MEG multiplient leurs nombres de capteurs pour augmenter leur résolution spatiale. Ces évolutions ne remettent toutefois pas en cause les avantages spécifiques de chaque technique, mais permettent d’améliorer leur combinaison et la comparaison de leurs résultats.

Définition des activités cérébrales à échelle locale

Pour l’ensemble des techniques d’imagerie présentées plus haut, la définition physiologique de l’activité que l’on détermine a posé et pose encore parfois problème. S’il était clair, dès les années 1930, que le signal électroencéphalographique reposait certainement sur l’activité électrique des neurones, il ne fut jamais possible d’établir une corrélation temporelle stricte entre l’activité de neurones uniques et le rythme alpha, ce qui constitua une déception dans les années 1950. De même, les mesures du volume sanguin régional ou de la consommation locale de glucose n’étaient qu’indirectement corrélées avec l’activité des neurones et reposaient sur des modèles mathématiques complexes requérant pour leur validation de longues années de recherche. Par exemple, il ne fut admis qu’en 1986 que le flux sanguin local, s’il est bien corrélé à l’activité électrique des neurones, ne l’est en revanche pas de manière stricte à la consommation locale d’oxygène. Néanmoins, ces mesures locales sont considérées comme des témoins d’une activité neuronale dont on peut chercher à associer les variations régionales à la réalisation simultanée d’une certaine tâche cognitive.

Enfin, notons que les techniques d’imagerie en constante évolution réservent encore probablement bien des surprises et de nouvelles perspectives de recherche. Citons par exemple la possibilité d’utiliser l’IRM de diffusion pour quantifier localement, à l’échelle des neurones, l’anisotropie de diffusion des molécules d’eau, qui possède une dynamique propre, se corrélant – avec des délais plus courts que ceux de l’IRMf – à l’état d’activation locale des neurones, d’une manière qui semble être due à un changement microscopique du volume des corps cellulaires des neurones. Cependant, dans ce cas, la validation de cette technique ne repose que sur une reproduction des mesures réalisées en IRMf, mais pas encore sur une quelconque assurance dans la connaissance du mécanisme cellulaire et physiologique en jeu.

Convergence et divergence des données d’imagerie cérébrale

Lorsqu’il s’agit d’étudier à l’échelle des grandes aires corticales les localisations des régions impliquées dans certaines tâches cognitives, il arrive souvent que différentes techniques aboutissent à des résultats très similaires. Cela est le cas par exemple pour la caractérisation des aires cérébrales impliquées dans l’analyse syntactique (grammaticale) des phrases par la MEG et l’IRMf, en accord avec les études sur des patients présentant des lésions de ces régions et chez lesquels on peut mettre en évidence des troubles fonctionnels correspondants. Pour la fonction de reconnaissance des visages, l’étude des régions cérébrales impliquées bénéficie également des études d’IRMf, qui ont confirmé les résultats électrophysiologiques très nombreux obtenus chez l’animal sur la localisation des neurones impliqués dans cette fonction.

Cependant, ces accords ne s’établissent que sur des corrélations simples entre aires cérébrales et fonctions, et ne présagent en rien d’un quelconque consensus sur les mécanismes cérébraux impliquant ces aires qui rendraient compte de la fonction étudiée. Cela tient en partie au fait que ces correspondances ne sont établies que pour des intervalles de temps de quelques centaines de millisecondes qui ne permettent pas de corrélations dans les processus cognitifs rapides, qu’il faudrait néanmoins connaître pour comprendre réellement les mécanismes neuronaux en jeu, un peu comme la biochimie des années 1920 s’était attaquée à la chimie des réactions secondaires du métabolisme non plus simplement pour décrire certaines fonctions cellulaires, mais pour créer de véritables modèles biochimiques.

Par ailleurs, des désaccords sur l’activation ou pas de certaines sous-aires cérébrales lors d’une même tâche cognitive peuvent apparaître selon les techniques utilisées. Les raisons de telles divergences sont extrêmement diverses et nombreuses. D’une part, certaines techniques peuvent connaître des limitations opérationnelles lorsqu’il s’agit de visualiser certaines activités dans certaines régions anatomiques précises –  ainsi l’IRMf, la MEG et l’EEG dans des conditions où les signaux sont masqués (souvent par annulation de signaux opposés dans une même région ou par des masquages dus à des processus physiologiques non neuronaux). D’autre part, les mesures d’imagerie étant réalisées de façon globale à l’intérieur d’un petit volume de tissu cérébral analysé, il est courant qu’une activité soit masquée en raison de la présence de plusieurs réseaux de neurones mêlés, alors que les enregistrements électriques de neurones individuels dans les mêmes régions détectent des activations de populations hétérogènes de neurones.

Enfin, la comparaison des résultats entre différentes techniques est conditionnée par leur alignement spatial dans un même repère tridimensionnel, facilité par l’implémentation de la technique de repérage spatial de la stéréotaxie pour chaque technique d’imagerie. L’alignement avec les données microscopiques de cytoarchitectonie est particulièrement difficile, mais de récentes études montrent que l’emploi de l’IRM de diffusion est parfois très efficace pour aligner les données d’imagerie fonctionnelle avec celles-ci, par alignement des faisceaux d’axones. Ces derniers peuvent en effet constituer localement des minirepères à l’échelle du dixième de millimètre, et donc à celle des petites populations neuronales des régions cérébrales bien différenciées anatomiquement et fonctionnellement à cette échelle.

Difficulté de la projection sur l’homme de résultats obtenus sur des modèles animaux

De telles comparaisons de données issues de différentes techniques de neuro-imagerie sont également difficiles entre les résultats issus de modèles animaux, obtenus par des méthodes invasives, et des résultats équivalents obtenus chez l’homme, par des techniques d’imagerie non invasives. Les difficultés techniques sont nombreuses lorsqu’il s’agit de mettre en correspondance des enregistrements électrophysiologiques de neurones identifiés chez l’animal avec des résultats d’imagerie obtenus chez l’homme. Par exemple, les techniques d’imagerie nécessitent des soustractions d’images et des moyennages dont les procédures peuvent masquer une certaine activation de neurones ou inversement faire apparaître artificiellement une activation. Parfois, des moyennages de données issues de plusieurs individus sont nécessaires, ce qui peut compromettre une détection d’activité en raison de petites différences interindividuelles dans les séquences d’activation spatio-temporelles. Ensuite, les mesures réalisées par différentes techniques ne sont parfois pas parfaitement alignées et ne se réfèrent pas aux mêmes réseaux de neurones, en raison de certains décalages spatiaux qui peuvent paraître minimes – mais qui font alors que l’on mesure des activités de neurones impliqués dans des fonctions totalement différentes, par exemple l’aversion et la récompense représentées par des populations de neurones mêlées.

Lorsque l’on croit avoir découvert des neurones miroirs chez l’homme (neurones activés lorsqu’on réalise une tâche spécifique, mais aussi lorsqu’on observe celle-ci opérée par un autre individu ou quand on l’imagine), on n’a fait en réalité que détecter une région – homologue anatomiquement de la région chez le singe dans laquelle on a repéré ces neurones – s’activant dans de mêmes conditions expérimentales. Le résultat est certes d’importance, mais il s’agit en fait plutôt de la vérification d’une activité homologue située dans une région homologue, ce qui ne constitue qu’une condition minimale d’existence de ces neurones chez l’homme, tout en sachant que leur non-détection n’aurait pas eu force de preuve de leur absence, tant les raisons pratiques de celle-ci peuvent être multiples en imagerie pour certains neurones.

Construction théorique à partir des données d’imagerie

Actuellement, les données d’imagerie cérébrale sont utilisées en conjonction avec d’autres données, issues d’études de patients lésés, d’études électrophysiologiques chez l’animal (ou chez des patients ayant subi un acte chirurgical pour éliminer un foyer épileptique) et en lien avec les connaissances anatomiques modernes de traçage des voies neuronales. Toutes ces données sont regroupées pour contraindre de manière globale les théories actuelles des grandes fonctions comme l’attention, la récompense, la reconnaissance des visages ou encore la perception du mouvement, avec un mélange de spéculation neurologique et de spéculation psychologique, même si la base théorique de ces modèles est presque toujours issue initialement des analyses fonctionnelles fines de patients lésés, accidentellement ou à la suite d'interventions chirurgicales.

On se demande, par exemple, si une fonction cognitive est réalisée selon un système hiérarchique ou modulaire, distribué ou localisé, avec des traitements parallèles ou séquentiels, et des systèmes de contrôle de haut niveau ou réalisés à différentes étapes. Et l’on confronte ces propriétés aux séquences d’activation des régions cérébrales actives en imagerie lors d’une certaine tâche cognitive. Les recherches actuelles d’imagerie IRMf font voler en éclats les dichotomies précédentes, en montrant par exemple que la reconnaissance des visages repose sur un système modulaire et distribué, avec des traitements en parallèle qui sont également hiérarchiques. Les dynamiques séquentielles spatio-temporelles des activités du cerveau redessinent ainsi les modèles fonctionnels imaginés d’abord de manière spéculative et implémentés par la neurophysiologie, d’une manière contrainte par les données de l’imagerie cérébrale, même si, le plus souvent, il n’y a pas de correspondance stricte entre les entités fonctionnelles des modèles cognitifs et les entités anatomofonctionnelles de la neurophysiologie et de la neuro-imagerie.

La théorisation des fonctions cérébrales relève donc d’entreprises spéculatives qui se fondent à la fois sur des données neurologiques et psychologiques associées à des données physiologiques. Ainsi, actuellement, les théories des fonctions cérébrales sont le plus souvent mixtes ; elles présentent à la fois des éléments issus de la théorisation fonctionnelle et clinique (psychologique et cognitive) et d’autres issus de la physiologie des circuits de neurones (comme pour l’analyse des neurones du cortex visuel).

Pour cette raison, les théories qui découlent des analyses de données hétérogènes, les méta-analyses associant celles de techniques différentes, sont souvent interthéoriques, c’est-à-dire qu’on tente de les situer à un niveau théorique intermédiaire entre celui de la psychologie et celui de la physiologie neuronale. Toutefois, ce faisant, il est possible de les critiquer sur un plan épistémologique, tant elles commettent parfois des erreurs de catégorie en mettant sur un même plan des éléments de modèles cognitifs et des éléments de modèles neuronaux incommensurables, en renonçant à une séparation stricte que Paul Ricœur décrivait comme un nécessaire « dualisme sémantique » admis pourtant par nombre de neuroscientifiques.

En effet, il n’est en réalité pas possible de faire correspondre strictement ces deux modes de connaissance, ni le plus souvent de connaître la véritable implémentation neuronale des modèles cognitifs, c’est-à-dire un modèle neuronal sous-jacent explicatif en termes de mécanismes impliquant des réseaux de neurones identifiés chez l’homme. Pour cette raison, certains philosophes et psychologues théoriciens ont par le passé plaidé pour demeurer dans un cadre théorique homogène, sans implémentation qui soit trop artificiellement physiologique, et qui conserve une liberté de réflexion spéculative pour garantir une plus grande créativité théorique. Cependant, dans leur ensemble, les chercheurs issus de la psychologie expérimentale et de la clinique neurologique classique ont adopté les schémas physiologiques et tentent de s’associer aux neuroscientifiques pour développer des cadres théoriques communs et pour les contraindre par l’ensemble des données expérimentales obtenues chez l’homme et les animaux, pour chaque type de fonction cognitive. Inversement, ces cadres théoriques sont souvent nécessaires pour cibler des pistes de recherche, et leur caractère interthéorique mixte peut ainsi parfois se révéler heuristique.

Nécessité des modèles animaux

De telles recherches peuvent aboutir in fine à une implémentation neuronale rigoureuse de certaines théories cognitives, mais qui n’est de fait possible avec rigueur que chez l’animal, en utilisant de nouvelles techniques expérimentales développées ces toutes dernières années et destinées à prendre en compte des échelles intermédiaires, comme celles des réseaux de neurones. On utilise ainsi de nouvelles techniques permettant d’objectiver des populations homogènes de neurones par de nouvelles techniques de marquage in vivo de circuits neuronaux, de manière à cibler les mesures optiques ou électrophysiologiques de leurs activités chez l’animal vigile et libre de ses mouvements. C’est à cette condition qu’il devient possible d’insérer ces nouvelles données de l’expérimentation physiologique animale dans le cadre des théories cognitives.

Chez l’homme, l’implémentation neuronale des théories cognitives est encore très problématique, voire impossible sans une bonne dose de spéculation, de sorte qu’elle ne peut en réalité être réalisée que dans le cadre d’un système épistémologique sophistiqué incorporant nécessairement des relations complexes entre les expérimentations animale et humaine, avec les concepts centraux d’homologies anatomique et fonctionnelle entre régions cérébrales étudiées dans les modèles animaux et chez l’homme. Il devient alors possible de créer des ponts entre les théories développées à partir des modèles animaux et celles de la cognition humaine, et de généraliser certains éléments des premières dans les secondes.

L’imagerie pour la clinique neurologique

La visualisation des activités cérébrales chez l’homme est donc loin de représenter des ensembles de mesures simples donnant immédiatement des informations relatives aux fonctionnements du cerveau. D’un autre point de vue, ces visualisations, historiquement développées pour la clinique (détection de tumeurs), demeurent essentielles en médecine, pour un domaine qui a toujours recyclé d’anciennes techniques physiologiques très diverses, plus guère employées, et supplantées par d’autres, à des fins néanmoins précieuses de diagnostics spécifiques. C’est ainsi que l’immense panoplie des techniques d’imagerie – on n’a cité ici que les principales – qui se déclinent en réalité en une infinité de variantes, est utilisée en clinique pour quantifier et localiser certains paramètres, comme des concentrations en certains neurotransmetteurs et marqueurs tissulaires pertinents en clinique, pour diagnostiquer les pathologies et suivre l’évolution des bénéfices des thérapies, par exemple par scintigraphie en cancérologie.

L’imagerie, l’éthologie et la psychothérapie

Enfin, les techniques de visualisation des activités cérébrales sont d’un usage suffisamment courant actuellement pour être utilisées en dehors de tout cadre théorique d’implémentation neuronale, simplement pour corréler certains paramètres biologiques pertinents à des études y compris en éthologie et en sciences humaines. C’est ainsi qu’on peut par exemple rechercher des corrélats biologiques de certains comportements animaux (comme les comportements agressifs chez les corneilles), de psychothérapies ou de certaines tâches requérant des fonctions cognitives élaborées, dans l’optique d’interroger très librement certaines interactions entre le cerveau, le comportement et la pensée chez l’homme, d’une manière parfois quelque peu éloignée des recherches biologiques actuelles en neurosciences, mais non sans lien sur un plan philosophique et sur un possible plan scientifique.

— Jean-Gaël BARBARA

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Pour citer cet article

Jean-Gaël BARBARA. VISUALISATION DE L'ACTIVITÉ DU CERVEAU [en ligne]. In Encyclopædia Universalis [s.d.]. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Le centre du langage en 1864 - crédits : Wellcome Library, Londres/ CC-BY 4.0

Le centre du langage en 1864

Carte de l’activité cérébrale par électroencéphalographie - crédits : 1958 Published by Elsevier Ireland Ltd. Reprinted with permission from Elsevier

Carte de l’activité cérébrale par électroencéphalographie

Activité cérébrale estimée par tomographie par émission de positons (TEP) - crédits : Brookhaven National Laboratory/ Science Source/ Getty Images

Activité cérébrale estimée par tomographie par émission de positons (TEP)

Autres références